Aspartame : un rapport aux conclusions un brin édulcorées

Alors que deux études récentes ont mis en avant certains effets dangereux de l’aspartame, un rapport de l’Agence européenne de la sécurité alimentaire vient de conclure à son innocuité. Avec des méthodes contestées.

Céline Trégon  • 10 mars 2011 abonné·es
Aspartame : un rapport aux conclusions un brin édulcorées
© Photo : Abad / photononstop

Boissons allégées, gommes sans sucre, confiseries, yaourts, sucrettes, compléments alimentaires : l’aspartame est presque partout. Plébiscité pour son pouvoir sucrant 200 fois supérieur au sucre traditionnel (le saccharose), l’aspartame présente l’avantage d’être un édulcorant bon marché, très ­faible en calories. Cela en fait l’additif alimentaire le plus utilisé dans le monde. Et un produit de premier choix pour les diabétiques. Depuis son autorisation de mise sur le marché en 1974 aux États-Unis, puis en 1994 en Europe, 200 millions de personnes en consomment régulièrement, dans plus de 90 pays.

Ce 28 février, l’Agence européenne de la sécurité alimentaire (Efsa) a voulu mettre un point final aux controverses qui mettent en cause l’édulcorant de synthèse pour ses effets nocifs sur la santé, en particulier cancérogènes. « L’aspartame ne présente aucun risque pour la santé » , a déclaré son attachée de presse, Lucia de Luca, après la remise d’un rapport sur la question à la demande de la Commission européenne.

L’Efsa conteste ainsi la validité de deux études récentes, l’une italienne, l’autre danoise, portant sur le potentiel cancérigène de l’aspartame et sur le risque accru d’accouchement prématuré. « Ces tests n’ont pas été réalisés selon les “bonnes pratiques de laboratoire” (BPL), et il est impossible d’établir un lien de causalité entre l’ingestion d’aspartame et le développement de tumeurs » , explique Gérard Lasfargues, directeur général adjoint scientifique de l’agence française Anses [^2], l’équivalent national de l’Efsa. « La relation de cause à effet ne peut pas non plus être établie entre la prise d’édulcorant et le risque d’accouchement préma­turé dans l’étude danoise. » Bref, circulez, il n’y aurait rien à voir.

Le Réseau environnement santé (RES), qui regroupe associations et scientifiques, s’indigne de la légèreté des analyses tenues par ces autorités publiques sur un sujet qui pourrait déboucher sur un scandale sanitaire. Le réseau met en cause la dose journalière admissible (DJA) d’aspartame, actuellement fixée à 40 mg. Multipliée par le poids de la personne qui en ingurgite, la DJA permet de savoir quelle dose ne pas dépasser. Problème : qui a fixé cette DJA et comment ? « Figurez-vous que cette valeur est déterminée par deux rapports qui n’ont jamais été publiés nulle part et qui datent de 1973 et 1974, alors que les BPL n’existaient pas. Le troisième rapport, de 1981, a quant à lui été réalisé par le laboratoire Ajinomoto, un des grands fabricants d’aspartame. Cherchez l’erreur » , détaille André Cicolella, président du RES et militant de la Fondation sciences citoyennes. « Les raisons invoquées par les organismes de santé publique pour justifier de l’innocuité de l’aspartame se fondent sur la malhonnêteté de ces membres » , conclut-il.

D’un côté, l’agence européenne critique des études indépendantes pour leur prétendu manque de rigueur ; de l’autre, elle n’applique pas à ses propres études les critères qu’elle exige des autres. « Les études sont certes anciennes et pas en phase avec les BPL, mais nos manques de moyens nous contraignent à nous référer à peu d’études. Les industriels fournissent les données car ils détiennent du capital. Nous ne pouvons pas nous couper des laboratoires financés par le privé » , reconnaît Gérard Lasfargues… sans pour autant remettre en cause l’avis de l’Efsa ! Pour Laurent Chevallier, consultant en nutrition, praticien au CHU de Montpellier et responsable de la commission alimentation du RES, « ces considérations sont gravissimes. Si le doute persiste, il doit profiter aux populations et non aux firmes industrielles » .

Certes, un lien direct entre un produit et une pathologie est toujours difficile à pointer sans équivoque. Reste que l’Efsa, loin de dissiper les suspicions qui planent sur l’aspartame, n’a fait que prouver une chose : ses protocoles surannés, sa dépendance vis-à-vis des données fournies par l’industrie agroalimentaire et son dédain pour les études indépendantes ont encore entaché sa crédibilité.

[^2]: Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.

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