Ce que nous voulons

Yves Cochet  • 24 mars 2011 abonné·es

La catastrophe de Fukushima est le cygne noir du nucléaire. En 2003, l’Autorité japonaise de sûreté nucléaire écrivait que le nombre de morts par radiation ou contamination parmi les voisins des centrales japonaises serait de un par million d’années. On se croirait en France. Les nucléocrates assoient leur arrogance sur un calcul de risque appelé « espérance mathématique » : la probabilité d’un accident majeur multipliée par le coût des dommages éventuels. Le risque n’est pas la faible probabilité d’advenue d’un événement dramatique, mais cette probabilité multipliée par la sévérité de l’événement. Ce que Nassim Nicholas Taleb nomme « la stupidité criminelle de la science statistique ».

La catastrophe de Fukushima, acmé de l’industrialisme aveugle, nous incite à repenser tout notre environnement technologique, au-delà du secteur nucléaire. Les écologistes, avec le poète Paul Goodman, proposent quelques critères d’évaluation du bien-fondé d’une technologie : les machines doivent être utiles et efficaces, bien sûr, mais aussi compréhensibles par les citoyens ordinaires et réparables par leurs utilisateurs. Les machines doivent être prudentes et modestes, à taille humaine et de faible impact écologique. Le nucléaire échoue devant tous ces critères.

La catastrophe de Fukushima est le retour du boomerang de l’action tellurique que l’humanité exerce sur la Terre depuis l’avènement de l’ère thermo-industrielle. C’est la revanche de Gaïa. Le sociologue allemand Ulrich Beck a démontré que le « progrès » technologique apporte, tout en même temps, les biens et les maux, indissociablement. Les promesses du nucléaire civil semblaient merveilleuses dans les années 1950, mais les problèmes surgirent simultanément : prolifération des bombes atomiques, impasse des déchets à très long terme, des déchets à haute activité, incidents et anomalies de fonctionnement, et, finalement, catastrophes humaines et environnementales de très grand retentissement. La question n’est donc plus de savoir s’il faut ériger de nouvelles règles de sûreté plus strictes encore, s’il faut choisir aujourd’hui l’enfouissement profond des déchets, s’il faut renforcer les règles du traité de non-prolifération, la question est que l’humanité est ontologiquement incapable de maîtriser la puissance nucléaire. Il faut en sortir et c’est possible.

La catastrophe de Fukushima ne devait pas arriver. En France, nous dit-on, aucune catastrophe ne doit arriver. Les écologistes estiment que le calcul du risque ne doit pas être fait par les ingénieurs du nucléaire, mais par un choix politique de la population elle-même. Il est scandaleux que le gouvernement s’en tienne à un « audit » des réacteurs nucléaires français, audit effectué par les experts de la radioprotection et de la sûreté nucléaire de l’IRSN et de l’ASN sans aucune participation des grandes associations telles que le réseau Sortir du nucléaire, la Criirad, le Groupement des scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire, Greenpeace ou les Amis de la Terre. Non. Il faut dès cette année un débat public, complet, contradictoire sur le nucléaire, suivi d’un référendum sur la sortie du nucléaire. Enfin, à nos partenaires socialistes potentiels pour 2012, nous proposerons une loi de sortie du nucléaire en vingt-cinq ans, d’ores et déjà bien élaborée.

Publié dans le dossier
Libye, la guerre du moindre mal
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