Fukushima, le pire est à venir

La catastrophe vient d’être classée au niveau 7 de gravité, alors qu’elle se poursuit encore. Les rejets radioactifs ne seront pas maîtrisés avant 2012, et il faudra dix à vingt ans pour tout nettoyer.

Patrick Piro  • 21 avril 2011 abonné·es

Il faudra des mois, voire des années, avant d’établir les conséquences sanitaires et environnementales de la catastrophe de Fukushima. Après avoir longtemps minoré sa gravité, les autorités japonaises viennent de la classer au niveau 7 de l’échelle internationale des événements nucléaires (Ines), dont seule Tchernobyl avait le « privilège ». Ce qui pourrait, paradoxalement, contribuer à une politique de communication visant à minorer les conséquences de la perte de contrôle de la centrale et à rassurer la population. Car Fukushima, à plusieurs égards, menace plus gravement l’avenir que l’explosion de la centrale soviétique en 1986.

La situation est toujours loin d’être sous contrôle. Personne ne peut décrire à ce jour l’état réel des six réacteurs. Et pour cause : les taux de radioactivité à proximité tueraient un individu en quelques secondes. Quelle quantité de combustible fondu ? Combien de cuves de réacteurs percées ? D’où provient la contamination à des taux 10 000 fois supérieurs à la norme d’une nappe phréatique 15 mètres sous la centrale ? Des bouffées de neutrons auraient été projetées à l’extérieur, signe de possibles reprises locales de la réaction de fission nucléaire. Le rétablissement des systèmes de refroidissement – prédit pour la semaine suivant la catastrophe ! – est toujours hors d’atteinte. Dimanche dernier, Tepco demandait encore trois mois pour faire baisser le niveau de radioactivité, puis jusqu’à six mois de plus pour réduire les fuites au minimum. L’opérateur envisage pour cela de couvrir d’ici à 2012 le bâtiment des réacteurs 1, 3 et 4. Même à supposer que ce plan ne relève pas de son optimisme jusque-là inconsidéré, le « point final » du chantier Fukushima pourrait attendre deux décennies [^2].

Les rejets radioactifs se poursuivent. Un mois après le tsunami du 11 mars, l’Agence japonaise de sûreté nucléaire Nisa estimait qu’ils ont atteint dans l’atmosphère entre 7 et 12 % des quantités relâchées par Tchernobyl. S’ils ont beaucoup diminué par rapport aux premiers jours [^3], l’accident est cependant toujours en cours. Et puis on ignore les quantités (importantes) rejetées dans l’océan Pacifique, dues à l’arrosage des réacteurs pour les refroidir ou à une vidange de 11 500 tonnes d’eau « faiblement radioactive » (selon Tepco) d’un bassin afin d’y stocker de l’eau hautement radioactive : l’opérateur manque de réservoirs…

La contamination réelle est inconnue. Les rejets ne devraient pas induire d’impact grave sur la santé humaine, estimait début avril Wolfgang Weiss, président du Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements (UNSCEAR). Des propos qui font bondir Bruno Chareyron, de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad) : *« Nous sommes tristes et en colère, vingt-cinq ans après Tchernobyl, de voir les mêmes réflexes de minimisation à l’œuvre ! Tout indique qu’il aurait fallu beaucoup plus rapidement distribuer des pastilles d’iode [^4] et évacuer la population sur un territoire plus étendu que le rayon de 20 kilomètres initialement considéré autour de la centrale [^5]. »
*

Dès le 15 mars, l’air est chargé d’iode et de césium radioactifs à Tokyo, distant de 230 km au sud-ouest. Une semaine plus tard, des aliments très fortement contaminés sont détectés à 100 km au sud de la centrale. À Iitate, à 40 km au nord-ouest, des légumes à larges feuilles ont concentré plus d’un million de becquerels par kilogramme, « ce qui en fait de purs déchets nucléaires ! » , s’élève Roland Desbordes, président de la Criirad. « Les autorités ont pris un retard très préjudiciable pour effectuer ces mesures et les divulguer » , poursuit-il. Les cartes montrent qu’à plus de 50 km de la centrale, des habitants ont pu recevoir des doses de l’ordre de 100, la dose annuelle admissible en France, sans tenir compte des sources d’irradiation interne, résultat de l’ingestion de radioéléments (respiration, alimentation) et de leur fixation dans l’organisme.

S’il est trop tôt pour évaluer la superficie contaminée – en raison, entre autres, de la persistance des rejets –, le « no man’s land » de Fukushima, où toute installation permanente devrait être prohibée pendant des décennies, couvrira des centaines de kilomètres carrés.

Quant à la contamination marine, c’est l’inconnue. Très importante à quelques dizaines de kilomètres de la centrale (on a relevé des taux plusieurs milliers de fois supérieurs à la normale), elle se dilue rapidement au-delà, mais des phénomènes de concentration sont à redouter, par le biais des courants et d’accumulations le long de la chaîne alimentaire, à commencer par les algues. Ainsi, on retrouve jusqu’en Arctique de l’iode 129 (dont la demi-vie est de 16 millions d’années !) relâché par l’usine de retraitement nucléaire de La Hague (Cotentin). « Après un événement analogue à celui du Japon, la pêche serait progressivement interdite dans la Manche, la Mer du Nord, les eaux subarctiques et arctiques » , indique l’association Robin des bois.

[^2]: Il a fallu quatorze ans pour solder l’accident de Three Mile Island aux États-Unis (1979), de nature similaire mais d’ampleur bien moindre.

[^3]: De l’ordre d’un terabecquerel (TBq) dans l’air par heure, contre 10 000 TBq au plus fort, pour un total qui pourrait culminer à 630 000 TBq en un mois.

[^4]: Destinées à empêcher les atomes d’iode 131 radioactif de se fixer sur la glande thyroïde, notamment.

[^5]: 100 000 personnes environ ont été déplacées, cinq localités plus lointaines ayant été englobées en raison d’une forte contamination.

Publié dans le dossier
Des vérités cachées
Temps de lecture : 5 minutes