«L’Autobiographie de Nicolae Ceausescu» : mauvais génie

L’Autobiographie de Nicolae Ceausescu, un documentaire pénétrant du Roumain Andrei Ujica.

Christophe Kantcheff  • 14 avril 2011 abonné·es

Où un dictateur se raconte-t-il le mieux, à ses yeux comme à la face du monde ? À travers les images officielles que son régime produit, que celles-ci le montrent dans l’exercice du pouvoir ou dans des moments plus intimes mais tout aussi contrôlés, mis en scène. Ce sont de telles images que le cinéaste roumain Andrei Ujica a utilisées pour réaliser le dernier volet de sa trilogie sur la fin du communisme, après Vidéo­grammes d’une révolution (1992) et Out of The Present (1995). Le film, par conséquent, épouse parfaitement son titre, l’Autobiographie de Nicolae Ceausescu . À ceci près que, par l’opération du montage, Andrei Ujica est aussi l’auteur de cette autobiographie, y imprimant son point de vue.

Extraites d’une matière brute gigantesque – mille heures d’archives ! –, ces trois heures d’images officielles sur Ceausescu, qui n’ont rien d’un pensum, sont encadrées par quelques instants du procès sauvage fait au dictateur et à sa femme, Elena, lors de sa chute, en décembre 1989, peu avant leur exécution. Histoire de poser un cadre, celui d’une déchéance radicale, après un itinéraire sinistrement mégalomaniaque.

Bien que dénuées de tout commentaire, ces images permettent d’abord à un spectateur qui ne saurait rien de Ceausescu de le replacer dans le système communiste de l’Europe de l’Est. Dans le noir et blanc des années 1960, lors des funérailles de son prédécesseur et protecteur Gheorghe Gheorghiu-Dej, Ceausescu est porté à la tête de la Roumanie par tout l’appareil du Parti. Pour ses qualités ? Elles n’éclatent pas au grand jour. Piètre orateur, se détachant rarement de ses discours préécrits, sinon pour répéter les mêmes mots creux du langage bureaucratico-stalinien. Ceausescu n’est pas un intellectuel mais un habile autocrate. Rien n’est explicite dans ce film sur le régime de terreur qu’il a imposé, mais quand l’immense salle du 12e Congrès se lève comme un seul homme pour l’acclamer contre un dignitaire qui a osé prendre la parole pour mettre en cause les méthodes du « camarade président » , tout est dit sur le sujet.

Nixon, Mao, Brejnev, Carter, la reine d’Angleterre… Ceausescu reçoit ou est reçu par tous les grands de ce monde, à l’Est comme à l’Ouest. De Gaulle est aussi venu à Bucarest, où ses paroles ne furent pas exactement historiques ( « Roumains et Français, nous voulons être nous-mêmes, c’est-à-dire l’État national, pas l’État cosmopolite » ). Ce qui atteste de l’intelligence de Ceausescu en matière internationale, entre démonstration d’indépendance par rapport à l’URSS et fierté nationale.

Cependant, le dictateur se faisait appeler « le génie des Carpates » . Ce qui était un peu trop. Plus le film avance, plus les manifestations du culte de la personnalité se font ostentatoires. Sous le délire, la tragédie, mais aussi une certaine dimension comique, à la Chaplin. C’est, sans nul doute, un aspect de ces images que ne pouvaient soupçonner les maîtres de la Roumanie de cette époque. Quant au regard final de Nicolas Ceausescu, c’est celui d’un homme qui ne voit plus rien, aveuglé par sa fiction, à laquelle le ­peuple a brutalement apposé le mot fin. Triste fin, happy end .

Culture
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