Les risques de l’après-Gbagbo

Après plusieurs jours d’affrontements sanglants, et l’intervention militaire de la France, Laurent Gbagbo est acculé. Antoine Glaser analyse les origines du conflit et les perspectives de réconciliation.

Jennifer Austruy  • 7 avril 2011 abonné·es
Les risques de l’après-Gbagbo
© Antoine Glaser est rédacteur en chef de la Lettre du continent, et auteur de nombreux ouvrages sur l’Afrique. Photo : BLANCHET / ECPAD / AFP

Politis : Étant donné les tensions ethniques qui existent en Côte d’Ivoire, la crise post-électorale était-elle prévisible ?

Antoine Glaser : Non pas vraiment. D’abord, il faut savoir qu’il aurait dû y avoir des élections en 2005. Mais elles ont été reportées régulièrement pendant cinq ans. Laurent Gbagbo s’est offert ce qu’on appelle là-bas un mandat cadeau de 2005 à 2010. En novembre dernier, enfin, tout le monde était bien calé et bien d’accord. Tous les candidats avaient signé les accords de Ouagadougou en 2007 et accepté une série de compromis sur les conditions d’organisation et de sécurisation du scrutin présidentiel. En plus, le coût de préparation de ces élections était monstrueux. Elles ont été les plus chères du monde, je crois, environ 300 millions d’euros. Jusqu’au dernier moment, les observateurs internationaux étaient présents pour surveiller. Par exemple, le groupe français Sagem a réglé les querelles concernant les listes électorales.

Par ailleurs, il faut rappeler qu’en 2005 les deux partis – donc Gbagbo aussi – avaient accepté que les élections se déroulent sous l’égide des Nations unies, et soient certifiées par elles. On ne peut donc pas dire que les choses n’étaient pas bien préparées. Mais pendant toutes les élections Gbagbo était sûr de l’emporter. Il avait mené sa campagne sur le thème « on gagne ou on gagne ». Les sondages faits par Euro RSCG le donnaient vainqueur, et les observateurs pensaient sincèrement qu’il allait être réélu. Souvent, en Afrique, le Président sortant a plus de chances d’obtenir l’adhésion de la population parce qu’il contrôle les médias. De plus, à la surprise générale, il n’y a quasiment pas eu de violences dans les rues. Les élections se sont déroulées dans un calme incroyable. La tournure des événements à partir du second tour n’était donc pas prévisible, même si les tensions ethniques sont exacerbées depuis 2002.

Les observateurs se sont lourdement trompés pour trois raisons. D’abord, tout le monde était persuadé que Laurent Gbagbo allait gagner haut la main. Ensuite, les gens pensaient que son adversaire, au second tour, serait l’houphouétiste Henri Konan Bédié. Or, c’est Alassane Ouattara qui est arrivé en seconde position, et contre toute attente les voix de Konan Bédié se sont reportées sur son nom. Cela, alors qu’ils sont ennemis politiques. Au final, cette élection me rappelle l’histoire de trois hommes dans un bateau. Konan Bédié est soutenu par les Baoulés du Centre, Gbagbo par les Bétés de l’Ouest et les jeunes d’Abidjan, et Ouattara par les ethnies du Nord. Le résultat était totalement inattendu.

Comment peut-on envisager l’après-Gbagbo ?

La situation va être difficile à gérer. Mais rien n’est encore écrit : Ouattara n’est pas encore au palais. C’était un pays déjà profondément divisé. Et au cours des dernières semaines, les violences dans Abidjan ont poussé la population pro-Ouattara à partir dans le Nord. Le pays est maintenant vraiment coupé en deux. La difficulté de cet État a été et sera la réconciliation nationale entre le Nord, le Sud et l’Ouest. Les manipulations politiques ont accentué l’éthnisation des régions ivoiriennes. Il faudrait que Ouattara crée un gouvernement d’union nationale en associant des pro-Gbagbo. Mais ce sera très compliqué. La création d’une armée risque également d’être problématique. Il va falloir réunir deux camps ennemis : les anciens rebelles et l’armée du Sud. En plus, le racisme ambiant va être très difficile à désamorcer. Le problème remonte au temps d’Houphouët-Boigny. Pour l’ancien Président, la terre était à ceux qui la travaillaient, et peu importaient leurs origines. En réalité, il faisait voter les étrangers pour légitimer son pouvoir. Il se considérait comme « le papa » de la région.

Mais, aujourd’hui, le concept d’ivoirité gangrène la société. Tout le monde se pense plus ivoirien que l’autre, surtout en période de tension. Enfin, la crise ivoirienne a un effet très négatif sur l’ensemble de la région. D’une part, l’afflux massif de réfugiés va déstabiliser les pays voisins et avoir des conséquences économiques et sociales importantes. D’autre part, le pays étant divisé, le transit de marchandises est ralenti. Ce qui pénalise les exportations des pays de l’hinterland.

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