Pitié pour les auteurs !

Malgré une apparente bonne santé, le secteur
du film documentaire français souffre
de précarisation.

Politis  • 21 avril 2011 abonné·es

Des réalisateurs, auteurs et producteurs inquiets de l’évolution du cinéma documentaire ont créé, en 2007, le Réseau des organisations du documentaire (ROD). Ce réseau publie aujourd’hui une étude [^2] qui fait état des difficultés des réalisateurs à maintenir à la fois leur indépendance créatrice et un niveau de vie décent. Sans oublier de mentionner en préambule que la production et la diffusion se portent plutôt bien (2 200 heures en 2009), l’étude rend compte des différentes craintes.

Premièrement, l’oligopole des diffuseurs hertziens met en péril l’indépendance des auteurs dans le choix de leurs sujets. La concurrence acharnée que se livrent depuis une dizaine d’années les chaînes publiques, privées et thématiques donne le taux d’audience comme seul critère de jugement des œuvres. Les chaînes gratuites de la TNT sont passées en deux ans (2007 à 2009) de 5,9 % de parts d’audience à 14 %. S’ensuit un émiettement de l’audimat qui contrarie fortement les diffuseurs hertziens (France Télévisions, Arte et Canal +). Dès lors, ils recherchent des films qui vont plaire aux téléspectateurs, au risque d’outrepasser leur rôle et d’interférer dans le contenu des documentaires, transformant les auteurs en sous-traitants.

Si, entre 2007 et 2009, la demande majoritaire allait vers des documentaires consacrés aux faits de société, les réalisateurs revendiquent leur droit à l’originalité. Or, la course à l’audimat minimise non seulement l’initiative en termes de contenu mais également de forme. Les rendez-vous hebdomadaires des chaînes avec leurs téléspectateurs deviennent de plus en plus fréquents, pour fidéliser le client dira-t-on. On assiste donc à la création de collections télévisées, c’est-à-dire des cases formatées, avec un cahier des charges sur le traitement du sujet. Ce qu’on impose : des documentaires accessibles à un large public, se rapprocher de l’écriture journalistique, plus spectaculaire, plus rapide, et adopter un ton pédagogique avec une exigence de démonstration. En somme, faire de l’enquête magazine.

L’étude du ROD met également l’accent sur les difficultés financières des auteurs-réalisateurs de documentaires. Beaucoup moins populaires que les films de fiction, ils n’obtiennent pas les mêmes financements [^3]. Sans convention collective, les réalisateurs n’ont pas droit à une rémunération réglementée. Leur salaire est dès lors très variable. Généralement payés en droits d’auteur et en tant que techniciens, ce qu’ils gagnent en une année ne leur permet de vivre décemment qu’une fois l’allocation-chômage perçue. Jamais de quoi pavoiser, cependant (nombre d’entre eux ont un revenu mensuel en dessous de 1 500 ou 1 200 euros). Le réalisateur Denis Gheerbrant précise : « Le problème de tout réalisateur, c’est qu’il a envie de faire son film, donc qu’il est prêt à accepter des conditions qui devraient être inacceptables. »

[^2]: « L’État du documentaire 2000-2010 » est téléchargeable sur : http://www.addoc.net/

[^3]: À titre d’exemple, en 2009, les diffuseurs n’ont apporté en moyenne que 47,3 % du financement des documentaires, alors qu’ils ont apporté 74,2 % du financement des fictions.

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