Quand Sarkozy attaque l’os

Denis Sieffert  • 21 avril 2011 abonné·es

Si l’on en croit un récent sondage, seuls 3 % des Français seraient encore « très satisfaits » de Nicolas Sarkozy [^2]. À ce rythme, la presse va bientôt pouvoir publier leurs noms… Car, avec ce record d’impopularité, c’est à présent le noyau dur de la base sociale du « sarkozysme » qui se fissure. Deux événements ont mis en évidence la semaine dernière ce désamour entre l’Élysée, une partie de l’UMP et le Medef. Le premier, c’est la volonté du ministre de l’Intérieur de s’attaquer à l’immigration légale. Le second, c’est cette affaire de prime pour les salariés des entreprises qui versent des dividendes à leurs actionnaires.

Dans les deux cas, la politique montre son plus mauvais visage. Celui du cynisme. Lorsque l’obsession du maintien au pouvoir efface toute autre considération. Mais avec Claude Guéant il s’agit de la poursuite d’une stratégie au long cours. Que l’on appelle ça « identité nationale », « laïcité » ou « immigration », c’est toujours le même bouillon qui mijote dans les soupentes de l’Élysée exhalant les mêmes odeurs rances de racolage et de xénophobie. Peu importent les mots policés, chacun entend ce qu’il faut entendre. Mais en se faisant plus précis, et en fixant comme objectif de réduire de vingt mille le nombre d’immigrés réguliers, Claude Guéant a aussi suscité la réaction de Laurence Parisot. Les patrons ne veulent pas être privés de ce qu’on appelle l’immigration de travail, qui fournit une main-d’œuvre bon marché. La présidente du Medef s’est empressée de souligner que cette immigration professionnelle ne représente guère que vingt mille à trente mille personnes par an [^3]. « Ce n’est pas un sujet » , a-t-elle lancé avec une pointe de condescendance.

C’est évidemment au nom d’une aimable philosophie d’ouverture, et même de métissage, que Laurence Parisot a contré le ministre de l’Intérieur. Avant, tout de même, d’accepter de revoir la liste des métiers ouverts aux étrangers. Comme elle l’a dit elle-même, il n’y aura donc pas de « drame » avec le gouvernement dans cette histoire. Laissons les drames aux immigrés ! Il y a tout de même une contradiction qui a explosé entre les impératifs de campagne de M. Sarkozy et les intérêts patronaux. La chose est apparue plus violente encore avec l’affaire de la prime. Le principe est le même. Le président de la République, conseillé par quelque stratège perspicace, s’avise de faire du « social ». Cela, après quatre ans de la pire politique antisociale. Il vient tout juste d’abroger le trop fameux « bouclier fiscal » qui plafonnait les impôts des plus riches. Et voilà qu’on lui souffle de rendre obligatoire le paiement à tous les salariés d’une prime uniforme de mille euros par toute entreprise qui verserait des dividendes. Ce n’est pas avec ce lapin sorti du chapeau, dit-on, de Serge Dassault – bien connu pour sa fibre sociale – qu’il risquait de conquérir un électorat ouvrier. Mais ce sommet de démagogie a surtout provoqué la colère des patrons. Dans un entretien au Monde, Laurence Parisot a qualifié cette disposition d’ « incompréhensible » . Et, œil pour œil, elle a lâché cette petite vacherie qui en dit long à la fois sur les méthodes du gouvernement et sur les relations que la patronne des patrons entretient avec ce pouvoir qui n’a cessé de représenter ses intérêts : « Nous sommes un peu stupéfaits, dit-elle, nous avons rencontré le Premier ministre il y a une dizaine de jours et à aucun moment il n’a été question de cette mesure. » De deux choses l’une : ou bien tout se décide dans le dos du Premier ministre, ou bien la trouvaille électorale de M. Dassault a été jetée précipitamment sur la place publique sans l’ombre d’une étude. Ou les deux, mon colonel.

Devant tant d’improvisation, Laurence Parisot n’a pas été seule à laisser paraître son agacement. Une semaine après l’annonce intempestive, c’est Christine Lagarde qui a dû rattraper le coup en affirmant d’abord qu’elle était défavorable à un « montant obligatoire » , puis en précisant que, de toute façon, cette prime serait à négocier entre les patrons et les représentants des salariés. Comme l’a dit, dans un soupir de soulagement, le président de la Confédération des petites et moyennes entreprises, « tous les jours, c’est un peu mieux ! » . Circulez, il n’y a plus rien à voir ! Nous en sommes donc à ce point où l’opinion publique n’est plus dupe de rien, et où le patronat, lui-même, s’interroge sur les « performances » de son champion. Si l’on ajoute qu’une partie de la majorité – centristes ou chrétiens démocrates –, comme en témoigne la défection de Jean-Louis Borloo, ne peut plus suivre MM. Guéant et Sarkozy dans leur zèle xénophobe, on a tous les ingrédients d’une crise majeure. Quant à Mme Parisot, elle répond par l’affirmative quand on lui demande si le Parti socialiste « a pris la mesure des contraintes qui s’imposent au pays » (comme en langage codé ces choses-là sont dites !). Même si elle préfère encore attendre les programmes des candidats « pour juger » . Suivez son regard.

[^2]: Sondage Ifop-JDD du 17 avril.

[^3]: En fait, selon l’Office français d’immigration (OFI), 31 500 personnes ont immigré en 2010 au titre de l’immigration du travail. Un chiffre stable par rapport à l’année précédente. Ce sont les étudiants qui sont en sensible augmentation (65 840, soit une hausse de 28,5 %).

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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