C’est amianté près de chez vous

Les habitants de Saint-Alban, au nord de Toulouse, ont découvert avec stupeur que 500 tonnes de déchets toxiques sont entreposés près de leurs habitations depuis des années. Une enquête judiciaire est en cours.

Nicolas Séné  • 30 juin 2011 abonné·es

L’inquiétude se lit sur les visages de la centaine de personnes rassemblées le 14 juin devant l’entreprise Gerlero et fils. Les 6 000 habitants de Saint-Alban, commune jouxtant le nord de Toulouse, ont appris deux semaines plus tôt que la PME, spécialiste en démolition et en désamiantage, entrepose à l’air libre jusqu’à 500 tonnes de déchets amiantés. Des déchets qui, après avoir transité par Gerlero, auraient dû être stockés sur des sites adéquats et qui ne l’ont pas été.

L’affaire a été rendue publique le 27 mai par la CGT Construction, qui a accompagné cinq salariés dans leur droit de retrait. À 58 ans, Xavier, chauffeur chez Gerlero, explique : «Je ne suis pas habilité pour le désamiantage ! Quand je me plaignais au patron que j’intervenais sur des missions qui n’étaient pas les miennes, il me disait que c’était ça ou la porte. Je ne sais pas si j’ai la saloperie… » La « saloperie » , ce sont les fibres d’amiante qui peuvent déclencher, jusqu’à quarante ans après l’inhalation, un cancer des poumons irréversible. Alain, qui a usé de son droit de retrait, poursuit : « On travaille dans les règles… sauf sur les chantiers à l’arrache. » Des interventions de dernière minute qui devenaient habituelles : « En trois mois, on a rentré 300 tonnes de matériel amianté, raconte-t-il, sachant que, d’ordinaire, 500 tonnes représentent environ cinq années de travail. »

Plusieurs témoignages en ce sens sont corroborés par le médecin du travail, qui, dans une lettre à la direction de Gerlero datée du 21 février 2011, exprime sa surprise lors d’une visite du site : « Big bags [sacs servant au confinement, NDLR] éventrés, feuilles de polyane déchirées, stockage de fibrociment en plein air… » . Le médecin conclut « qu’il existe un réel danger grave et imminent pour [les] salariés» . Sept jours plus tard, l’Inspection du travail constate que « deux salariés, qui effectuaient des travaux de reconditionnement de matériaux amiantés fortement dégradés et donc considérés comme des matériaux contenant de l’amiante friable, étaient équipés de protections individuelles non appropriées » . Le 28 février, l’entreprise est sommée d’arrêter les travaux. Gerlero et fils se trouvant dans une zone résidentielle et en face de la crèche de la commune, les habitants se sont mobilisés aussitôt informés.

L’association Saint-Alban 31 dépollution amiante est née en deux semaines. Une enquête a été diligentée par la brigade de gendarmerie de Toulouse, où l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (Oclaesp) doit établir, avant l’été, un audit précis des polluants. La présence de PCB, un produit hautement toxique utilisé comme huile isolante dans les transformateurs, revient régulièrement dans les témoignages. Une information qui accroît l’inquiétude des habitants. Maryline, maman d’Erynn, 3 ans, explique : « Nos enfants ont grandi dans la crèche juste en face de l’entreprise. Je suis inquiète pour la santé de ma fille. Je vais voir avec mon généraliste pour la faire suivre tous les ans. » D’autres enfants ont même joué régulièrement sur le site, mal clôturé.

Qu’en est-il de la qualité de l’air et de l’eau, sachant que la nappe phréatique se trouve sept mètres plus bas ? « Il n’y a aucune trace d’amiante dans l’air » , se défend Me Tamain, l’avocat de l’entreprise, qui a mandaté un laboratoire pour faire des analyses et qui réfute la présence de PCB sur le site. « Nous n’avons pas vu les résultats d’expertise » , lui répond Frédéric Pertusa, vice-président de l’association des riverains. Ces analyses ont-elles respecté les protocoles en vigueur ? Il en doute : « Ils ont fait l’analyse un après-midi par temps de pluie. Mais quand on va bouger tout ça ? » Franck Mercadier, président de l’association, poursuit : « Nous voulons faire nettoyer la zone le plus rapidement possible et déposer plainte pour nous porter partie civile. » Pour Stéphane Rossi-Lefèvre, l’avocat des salariés, « il faut faire en sorte que ce site ait un audit précis car on ne sait pas scientifiquement ce qui s’y trouve » . Il rappelle qu’un arrêté préfectoral exige que l’amiante soit enlevé dans les trois mois, mais « nous n’en connaissons pas les modalités » .

Selon la préfecture, « les services de l’État ont engagé des procédures pénales auprès du parquet de Toulouse. » Bonnes intentions qui ne répondent pas à l’urgence des faits. « Nous avons envoyé un courrier à la préfecture, qui ne nous a toujours pas répondu , constate Frédéric Pertusa. Le maire de Saint-Alban nous a dit qu’il va tout faire pour dépolluer le site et analyser l’eau en amont et en aval de la nappe. Mais nous voulons faire sécuriser le site le plus vite possible car, pour le moment, personne n’a rien mis pour couvrir le stock. Tout reste à l’air libre ! » L’avocat de Gerlero se défausse en imputant les faits au repreneur de l’entreprise, qui a pris les rênes en janvier 2011. Il ne cache pas que « l’entreprise a des difficultés économiques » depuis quelques années.

Est-ce là le cœur du problème ? Les produits dangereux devant être confiés à des filières onéreuses, Gerlero aurait-il préféré laissé en plan ces déchets, et advienne que pourra ? L’enquête devra répondre à ces questions vertigineuses. En attendant, les habitants se demandent s’ils peuvent utiliser l’eau de leurs puits, et consommer les légumes de leur potager ? En fait, ils se demandent même s’il n’est pas dangereux de respirer.

Écologie
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