Grèce : « Les dépouilles de la privatisation seront réparties entre les néo-colonisateurs»

Entretien. Un nouveau prêt a été accordé à la Grèce pour le remboursement de ses dettes sur les marchés financiers, au prix d’une cure d’austérité sans précédent. L’économiste grec Athanase Contargyris analyse les conséquences de cette «prise de pouvoir du financier sur le politique».

Erwan Manac'h  • 6 juin 2011
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Grèce : « Les dépouilles de la privatisation seront réparties entre les néo-colonisateurs»
© Photo : AFP / Angelos Tzortzinis, Capture d'écran [Attac](http://www.dailymotion.com/video/xdwvu5_6-athanase-contargyris-reunion-publ_news)

Pour payer les intérêts de la dette, soldes à tous les étages. Tout doit disparaître. Aux prises avec une crise financière sans précédent depuis plus d’un an, la Grèce va devoir mettre en place un plan de privatisation plus draconien que jamais pour obtenir l’aide de ses créanciers : le FMI, l’UE et la Banque centrale européenne. Des arbitrages très attendus ont été rendus en ce sens vendredi 3 juin : d’ici 2015, les dépenses publiques devront être réduites de 22 milliards, en échange d’un nouveau prêt de 60 milliards d’euros.

Les perspectives sociales et économiques d’une telle cure sont inquiétantes, alors que la mobilisation des « indignés » et des syndicats hostiles au plan d’austérité progresse. 50 000 personnes étaient réunies dimanche 5 juin à Athènes selon la police.

Les explications d’Athanase Contargyris, économiste grec et membre d’Attac.

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contre 680 euros avant la cure d’austérité. Un mois salaire sera supprimé pour tous les fonctionnaires et les retraités
, en les ramenant à 11 mois payés sur 12 travaillés (contre 15 il y a quelques années).

Les importants gisements gaziers de la Crête devraient être vendus aux scandinaves à très bas prix. Les infrastructures portuaires et les réseaux ferrés seront aussi bradés dans les mois qui viennent.
En conséquence, les prix devraient augmenter. 20 à 30 % de hausse sont prévisibles dans l’énergie, comme dans les transports publics, où il y a déjà eu une augmentation de 40 % il y a deux mois.

Le doute a plané un moment sur le versement de la cinquième tranche de l’aide de l’UE et le FMI de 12 milliards d’euros. Que cela aurait-il signifié pour la Grèce ?

Sans ce prêt, la Grèce n’aurait pas eu les moyens de rembourser ses 60 milliards d’euros de dettes sur les marchés, d’ici 2012.
Le coût de l’emprunt est exorbitant avec la hausse des taux d’intérêts.

Une telle situation serait catastrophique pour l’Europe, car beaucoup de banques, surtout françaises et allemandes, seraient devant un risque de faillite, obligeant les États à les renflouer. Et si la Grèce avait fait défaut, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne auraient pu sombrer à leur tour. C’était du bluff.

La cure d’austérité était-elle évitable ?

Il était nécessaire de remettre au carré les finances, seulement il n’était pas obligatoire de faire subir le plan d’austérité aux classes défavorisées.
Il y a aussi une grosse marge en matière de fraude fiscale, car il y a un très grand pourcentage de gens qui sont à leur propre compte. Les efforts ont déjà été considérables : le déficit primaire, avant le paiement des intérêts de la dette, n’est plus que de 1 %. La Grèce n’a donc pas besoin d’emprunter pour fonctionner… elle emprunte pour rembourser ses créanciers.

Le rééchelonnement du remboursement était une alternative intéressante. Cela permettait à la Grèce de rétablir ses finances et le coût des intérêts aurait été moindre a posteriori . Seulement, une telle mesure aurait été considérée comme une forme de cessation de paiement et les banques françaises auraient trinqué.
La France s’est donc formellement opposée à cette option pour ne pas courir le risque d’une catastrophe financière à un an des présidentielles. Le nouvel emprunt annoncé vendredi était donc la seule solution. Mais les marchés savent que la dette est excessive et qu’il faudra forcément la rééchelonner ou envisager une remise. On repousse donc le problème et chacun essaie de gagner du temps. Nous pourrons résoudre véritablement le problème en 2013, lorsque les élections en France comme en Allemagne seront passées.

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Comment le plan d’austérité est-il accueilli en Grèce ?

La mobilisation devient assez forte contre l’ensemble de la classe politique. Celle-ci est accusée de trahir le pays en ne tenant pas tête aux dirigeants européens qui seraient obligés de céder pour sauver la zone euro.
Le plus grave c’est que les privatisations seront gérées par les créanciers – la France et l’Allemagne essentiellement – qui décideront à qui nous pouvons vendre et à quel prix. Les télécoms seront vendus aux allemands, l’eau ira à Veolia… les dépouilles seront réparties entre les néo-colonisateurs.
Il y a une perte de démocratie pour les citoyens, conjuguée à un inévitable refrain néolibéral selon lequel la seule solution serait d’abaisser nos salaires au niveau des Chinois.

D’autant que la dette vient d’une politique menée lors d’une période de forte croissance, suivant le leitmotiv des financiers qui invitait les États à baisser leurs ressources pour stimuler la concurrence en se finançant par l’emprunt, profitant des taux d’intérêts bas. Les États, aujourd’hui, n’ont plus les recettes nécessaires pour fonctionner normalement.

Comment faudrait-il réformer le système pour qu’une telle situation ne se reproduise plus ?

Depuis toujours les États sont endettés, mais jamais personne dans l’histoire n’a osé mettre un pays dans une situation comme celle de la Grèce aujourd’hui.
Les pouvoirs financiers étaient toujours plus faibles que les pouvoirs politiques. Le rapport s’est aujourd’hui inversé.
Il s’agit donc pour les politiques de prendre leurs responsabilités et de trouver des solutions pour que la dette publique ne puisse pas aboutir à une perte de souveraineté pour les citoyens.

L’histoire de la Grèce est celle de toute la zone euro, voire même des États-Unis, qui peuvent un jour se retrouver à genou malgré leur puissance.


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