Hachés menu par le libéralisme

Une enquête sociologique analyse les effets de la perte d’emploi après la fermeture des derniers sites industriels de Moulinex.

Politis  • 9 juin 2011 abonné·es

En Basse-Normandie, en septembre 2001, trois mille salariés apprennent leur licenciement et la faillite de Moulinex, célèbre entreprise française d’électroménager installée depuis les années 1930 dans cette région. L’ampleur de la catastrophe a nécessité la mise en place d’une mission interministérielle chargée du soutien à la réindustrialisation des anciens sites et du reclassement des salariés licenciés. Des années plus tard, les licenciés sont encore en proie à d’importantes difficultés économiques.


Manuella Roupnel-Fuentes part de cet événement social majeur et d’une enquête historique et sociologique exceptionnelle menée sur plusieurs années pour développer une réflexion sur le reclassement des travailleurs licenciés et sur le chômage de masse. 
Au-delà du travail scientifique, ce livre est un précieux recueil de témoignages qui nous amène au plus près de la singularité de l’expérience vécue par les licenciés de Moulinex. « La gestion financière de Moulinex, rappelle l’auteure, était depuis quelque temps dominée par l’actionnariat et la poursuite incessante du gain par la conquête de nouveaux marchés ou par la prise de décisions périlleuses qui ont fait passer la rentabilité économique de l’entreprise avant l’intérêt des salariés. » Les intérêts du principal actionnaire de Moulinex, le holding financier de Jean-Charles Naouri, l’une des grandes fortunes du pays, aujourd’hui à la tête du groupe Casino, priment sur le reste. Au point que l’entreprise liquidée est l’occasion de dégager quelques profits.


La fin de Moulinex est donc une faillite économique et morale, celle d’une entreprise qui s’est soustraite à ses obligations juridiques et sociales, dont les conclusions de l’étude se font l’écho : deux ans après la fermeture de l’entreprise, près d’un tiers des licenciés sont à la recherche d’un emploi. Mais l’échec social dépasse le cadre de l’entreprise : « Les fortes inégalités qui émaillent le retour à l’emploi des licenciés de Moulinex appellent à revoir en profondeur l’accompagnement du mouvement des restructurations en général et des licenciés en particulier. »

La perception du chômage et du retour à l’emploi est critiquée, en particulier le présupposé faisant du marché de l’emploi un marché fluide et accessible à tous, ainsi que le procédé implicite tendant à renvoyer aux personnes la responsabilité de leurs difficultés à se réinsérer sur le marché du travail : « Les courants libéraux, estime Manuella Roupnel-Fuentes, définissent un personnage délié de tout lien et ancrage social. Mais cette sorte de lévitation sociale s’applique peu à la réalité de salariés installés de longue date dans l’emploi, attachés à un métier, à une région. »
 La fermeture des usines de Moulinex, comme celle de l’usine Metaleurop de Noyelles-Godault dans le Nord et de tant d’autres, montre l’inadéquation entre la politique libérale de l’emploi et la réalité vécue par les licenciés : « De manière simultanée et massive, [arrivent] des demandeurs d’emploi peu qualifiés, qui se ressemblent et se concurrencent, avec cette difficulté de se démarquer des autres par la possession d’une ou plusieurs qualifications, formation ou expériences. » Le « marché » s’adresse aux plus employables, à ceux qui sont les mieux formés, qui décrocheront les meilleurs emplois. Il est accompagnateur plutôt que transformateur des inégalités traversant la population active. C’est ce qui ressort de ce document qui invite à repenser un enjeu de société.

Idées
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