Naples, futur laboratoire politique

La gauche radicale a remporté la mairie de Naples, qui accueille des élus largement issus du mouvement social. Le journaliste Angelo Mastrandrea analyse ici la composition de la nouvelle municipalité et ses projets.

Angelo Mastrandrea  • 9 juin 2011 abonné·es
Naples, futur laboratoire politique
© Angelo Mastrandrea est directeur-adjoint du quotidien de la gauche critique italienne *Il Manifesto* 
 (traduction Olivier Doubre)
. Photo : AFP / S. Hermann

Le lendemain du scrutin, Alberto Lucarelli est à son poste à l’université aux côtés d’Alain Caillé pour un colloque sur l’économie du don. Professeur de droit public à Naples et à Paris-I, promoteur des référendums pour une gestion publique de l’eau et contre le nucléaire, Lucarelli incarne parfaitement l’esprit de cette « révolution » advenue à Naples via les urnes. Dans la capitale du Sud, où la corruption et la criminalité ont ces derniers temps retrouvé leur niveau des années 1980, quand les morts se comptaient par centaines, l’impensable est arrivé : les citoyens, lors des élections municipales des 29 et 30 mai, ont élu la municipalité la plus « rouge », écologiste et altermondialiste d’Europe. Un résultat tout à fait inédit pour la politique italienne, davantage encore qu’à Milan, où a pourtant été investi l’avocat Giuliano Pisapia, proche de Rifondazione Comunista.


Autour du nouveau maire, Luigi De Magistris, ex-magistrat devenu célèbre pour ses enquêtes contre la corruption politique en Calabre, s’est en effet formée une coalition d’intellectuels et de personnes issues des mouvements sociaux, jusqu’ici toujours en marge des institutions. De cette coalition, Alberto Lucarelli semble être la parfaite synthèse : à la fois intellectuel et activiste, lié à aucun parti. Pour lui, on s’apprête à créer une délégation là aussi inédite en Italie : celle de maire adjoint chargé des « biens communs ». Et le nouvel élu d’annoncer comme première décision à ce poste la convocation d’une « Assemblée constituante européenne pour les biens communs », au premier rang desquels figure l’eau.
Mais, pour appréhender la véritable portée de cette alternative napolitaine, il faut l’observer dans sa totalité. Ainsi, quand Berlusconi pensait pouvoir remporter les élections à Naples en promettant la suppression de la taxe sur le ramassage des ordures ménagères, se sont dressés les comités de citoyens qui luttent contre les décharges à ciel ouvert [ultrapolluantes, avec lesquelles le gouvernement comptait « régler » le problème des déchets dans les rues de Naples, NDLR], et qui ont affronté la police sur des barricades durant des semaines. La nouvelle municipalité s’essaiera donc à appliquer les théories du gourou « zéro déchets » Paul Connett : avec 70 % de tri sélectif et la fermeture des incinérateurs et des décharges. De même, quand Berlusconi a promis de régulariser les constructions abusives, ce sont les environnementalistes de Legambiente, depuis des années en guerre contre celles-ci, qui se sont fortement mobilisés.


Tous ces mouvements sont au cœur de la coalition qui s’apprête à administrer Naples. Le budget de la ville sera confié à l’économiste marxiste Riccardo Realfonzo (qui fut l’an dernier à l’origine d’un appel d’économistes italiens contre les politiques européennes d’austérité), et la délégation aux droits  à Sergio D’Angelo, fondateur du mouvement Il Welfare non è un lusso (« Le welfare n’est pas un luxe »), premier réseau de travailleurs sociaux créé pour s’opposer aux coupes budgétaires gouvernementales dans les secteurs sanitaire et social. Quant aux politiques sociales proprement dites, elles reviendront à Elena Coccia, figure historique du mouvement féministe et avocate des droits des femmes, qui lutte depuis longtemps contre la « culture dominante homophobe et barbare ». Et, si l’on regarde de plus près ces résultats inattendus, on découvre que Rifondazione Comunista aura huit élus (contre quatre au Parti démocrate), et que, dans la partie uninominale du scrutin, c’est le professeur Vittorio Vazquez qui a obtenu le plus de « préférences », lui qui, dans les années 1970, fut l’un des leaders de la petite organisation Democrazia proletaria et dirige aujourd’hui le syndicat Cobas (Comités de base). Enfin, Pietro Rinaldi, du centre social Insurgencia, représentera les squatters. Même les « Comités de soutien à la résistance pour le communisme », accusés dans certaines enquêtes (toutes conclues par des non-lieux) d’être les héritiers des Brigades rouges, ont manqué de très peu d’avoir un élu… C’est en tout cas l’ensemble des forces vives du mouvement social qui se trouve investi dans ce projet politique alternatif, y compris la gauche libérale.

On peut se demander comment un tel résultat a été possible. « Cette initiative n’est pas née de nulle part, elle est le fruit d’années de luttes sociales et d’élaborations théoriques collectives », soulignent les vainqueurs. Le grand écrivain Ermanno Rea, dont les romans racontent Naples de l’après-guerre jusqu’à nos jours, a lui-même confié ces jours-ci : « J’ai voté De Magistris justement parce que ce n’est pas un modéré ; il faut maintenant transformer de fond en comble l’apparence tuméfiée de cette ville ! » Quant au metteur en scène de théâtre et cinéaste Mario Martone, il demande que l’on favorise « les espaces autogérés ». Et Lucarelli de promettre : « Que tous nous observent de près, car nous allons construire un laboratoire politique contre l’hégémonie néolibérale en Europe ! » Naples réussira-t-elle à devenir un modèle pour la gauche italienne en général ? L’avenir seul le dira. En attendant, le premier geste de la nouvelle municipalité aura évidemment une grande portée symbolique : permettre le retour sur ses terres de l’écrivain Roberto Saviano, condamné à mort par la camorra…

Monde
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