David Douillet, pour choyer les (électeurs) expatriés

La nomination de l’ancien judoka et réac’ bon teint David Douillet au « secrétariat d’État aux Français de l’étranger » sonne faux. Le véritable enjeu ? Onze nouveaux sièges de députés en 2012, élus par les expatriés. Explications.

Erwan Manac'h  • 4 juillet 2011
Partager :
David Douillet, pour choyer les (électeurs) expatriés
© Photo : AFP / Thomas Coex

C’est ce qu’on peut appeler une sacré promotion. À 42 ans, le quadruple champion du monde de judo est nommé secrétaire d’État aux Français de l’étranger. Moins de deux ans après son parachutage réussi dans la 11e circonscription des Yvelines en octobre 2009, cet intime de la famille Chirac accède au gouvernement.

Les contours de sa future politique sont plus que flous. À Matignon, on refuse de communiquer la feuille de mission de l’ancien judoka. Du côté du service de communication du ministère des Affaires étrangères, difficile à joindre vendredi 1er juillet, impossible de savoir si ledit secrétariat d’État disposera d’un budget. David Douillet, nous dit-on un brin désappointé, a besoin de temps pour constituer son équipe et s’installer dans ses nouvelles fonctions.
« Il aura pour mission de venir vous rencontrer, d’écouter les demandes qui sont les vôtres et apporter les réponses que l’État français doit apporter » , expliquait Alain Juppé à Jakarta le 29 juin, devant des expatriés.

Pas franchement convaincus, les élus de gauche rient jaune devant cette soudaine bienveillance pour les Français du monde, dénonçant les coupes de subvention, les fermetures de consulats et les impacts, partout, de la RGPP. « Mr Douillet n’aura pas de portefeuille, il vient simplement coiffer le directeur des Français de l’étranger déjà existant , estime Richard Yung, sénateur socialiste représentant les expatriés. Il va organiser des réceptions, distribuer des décorations… C’est du gadget » .

En réalité, la bonhommie de Mr Pièces jaunes sera surtout utile pour séduire les 2,8 millions de Français expatriés. Qui, en 2012, éliront pour la première fois leurs députés… 11 sièges leur ont été redistribués à l’issue d’une réforme électorale houleuse en 2009. « Le découpage est clairement à l’avantage de la droite , estime Richard Yung. On s’est bagarré jusqu’au Conseil constitutionnel mais la réforme a été adoptée.»

Les expatriés votent peu en raison de l’éloignement des bureaux de vote, mais leurs voix vont traditionnellement à la droite[^2]. Sur les 40 % de votant en 2007, 54 % se sont prononcés pour Nicolas Sarkozy et 9 des 11 nouvelles circonscriptions étaient favorables à l’ancien maire de Neuilly. Voilà qui pourrait être utile, d’autant que le réservoir de voix gonfle chaque année : le nombre d’électeurs potentiels a bondi de 113 % entre 2002 et 2007 et continue de croître de 5 % par an.

« L’UMP a considéré qu’il avait des chances de gagner des sièges grâce aux électeurs de l’étranger, à condition d’y mettre les moyens… y compris s’il le faut sur les deniers de l’État » , estime Christophe Borgel, secrétaire national du PS chargé des élections. Car la campagne s’annonce coûteuse dans des circonscriptions grandes comme des continents, où les prétendants ont peu de moyens pour se faire connaître. Le Parti socialiste a d’ailleurs déjà désigné ses candidats, près d’un an avant le scrutin, pour se lancer sans attendre dans ce long baroud.

Rassurer les binationaux

La nomination de David Douillet a aussi une fonction réparatrice. Libération publiait le 21 juin le contenu d’un rapport de Claude Goasguen sur la double nationalité. Le très droitier député de Paris voulait « subordonner l’acquisition de la nationalité française […] à la renonciation expresse du candidat à sa ou ses nationalité(s) étrangère(s)» . Le débat a divisé jusque dans les rangs de l’UMP, forçant Claude Goasguen à faire machine arrière. Il a surtout froissé les expatriés qui comptent 60 % de binationaux, d’après Richard Yung. Un secrétariat d’État pourra les rassurer, même si la coquille est vide.

« Misogynie rationnelle »

Si la bouille est amicale, le fond du discours est pour le moins viril. Tenant d’un machisme de la vieille France aux accents homophobes, l’ancien judoka défend « une misogynie rationnelle » d’après ses propres mots, extraits de ses mémoires dont le Canard Enchainé a fait la lecture [^3] :

« Pour moi, une femme qui se bat au judo ou dans une autre discipline, ce n’est pas quelque chose de naturel, de valorisant , explique-t-il. Pour l’équilibre des enfants, je pense que la femme est mieux au foyer. (…) C’est la mère qui a dans ses gènes, dans son instinct, cette faculté originelle d’élever les enfants. Si Dieu a donné le don de procréation aux femmes, ce n’est pas hasard ».

Les explications de textes sont plus explicites encore :

« On dit que je suis misogyne. Mais tous les hommes le sont. Sauf les tapettes. [^4]  »


Voir l’interview de David Douillet, sur Europe 1 :


[^2]: Dès 1988, Jacques Chirac recueillait 59 % des suffrages des Français de l’étranger au second tour de la présidentielle, 58,5 % en 1995 et 91,7 % en 2002 face à Jean-Marie Le Pen (source Sénat)

[^3]: L’âme du conquérant (Robert Laffont, 1998)

[^4]: Après la publication de son ouvrage, le judoka expliquait que le terme de ‘tapette’ visait seulement « les hommes qui ne s’assument pas ».

Politique
Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…