Et si la Grèce faisait faillite…

L’État grec risque de se déclarer en défaut de paiement dans les semaines qui viennent. Quelles seraient les conséquences d’une telle situation pour la zone euro ? Des perspectives sombres… et quelques issues de secours.

Thierry Brun  et  Pauline Graulle  • 22 septembre 2011 abonné·es
Et si la Grèce faisait faillite…
© Photo : AFP / Gouliamaki

1. À combien se monte la dette ?


La « faillite » de la Grèce signifie que le pays est dans l’incapacité d’honorer le remboursement de sa dette. Cette situation est désormais admise par les dirigeants européens. Un dispositif de gestion de la dette grecque a été mis en place par l’Union européenne et le Fonds monétaire international (FMI) dès mai 2010. Il a été revu depuis. Ce dispositif, dont l’objectif premier était de rassurer les marchés financiers, a échoué. La dette publique grecque explose — quelque 350 milliards d’euros –, et le pays ne parvient pas à la rembourser. La Grèce doit donc faire face à un défaut de paiement.


Cette situation remonte « à décembre 2009, lorsque les marchés ont spéculé contre la dette grecque après sa “mise sous surveillance” par les agences de notation », explique l’économiste Dominique Plihon. Et lors d’un conseil européen, en novembre 2010, l’éventualité d’une restructuration de la dette d’un pays en difficulté est admise.

« La crise que nous traversons est la poursuite de la crise du modèle néolibéral. Elle trouve sa source dans la déflation salariale au profit des actionnaires, explique Pierre Khalfa, coprésident de la Fondation Copernic. Il y a trois ans, les États ont sauvé le système bancaire et ont contenu la récession, ce qui a conduit à une explosion des déficits publics. La dette privée a été transformée en dette publique. »


2. Que faire de la dette grecque ?


Un défaut de paiement « ordonné » est « une priorité absolue », a déclaré récemment la chancelière allemande Angela Merkel. Selon Dominique Plihon, « les créanciers, la Grèce, les gouvernements concernés de la zone euro, ainsi que la troïka (Union européenne, FMI et Banque centrale européenne) devront discuter de la manière de gérer ce défaut de paiement, afin d’éviter le pire des scénarios, qui pourrait conduire à une sortie temporaire de la Grèce de la zone euro ».

Selon lui, « les créanciers doivent accepter au minimum de différer les remboursements et donc de rééchelonner la dette, c’est-à-dire une dévalorisation de la dette plus importante que prévu lors du sommet européen du 21 juillet ».

Selon l’agence de notation Fitch, la perte sur les titres grecs serait de 21 %. Les Européens devront financer le défaut de paiement de la Grèce avec l’aide du Fonds européen de stabilité financière (FESF). Les banques grecques, qui détiennent une grande partie de la dette, devront être nationalisées pour être sauvées. Et les banques et compagnies d’assurances des autres pays européens pourraient être recapitalisées.



3. Qui mettra la main à la poche ?


Les pays membres de l’Union européenne ont décidé d’abonder le Fonds européen de stabilité financière pour aider la Grèce. Une ­première aide de 110 milliards d’euros a été décidée en mai 2010. Le Fonds doit aussi financer une seconde aide de près de 160 milliards d’euros adoptée en juillet. Le versement de ces aides n’est toujours pas concrétisé car plusieurs pays de la zone euro rechignent à délier les cordons de la bourse, comme l’Autriche, la Finlande et la Slovaquie. 


Ainsi, la Slovaquie a décidé de reporter en décembre son éventuelle approbation du renforcement du FESF et de la création en 2013 d’un mécanisme de sauvetage permanent des pays susceptibles de faire défaut sur leur dette. Et les ministres des Finances ont reporté à octobre leur décision concernant un prêt de 8 milliards d’euros.


Le Fonds entraîne un coût important pour les pays européens. Par exemple, l’endettement de la France s’est accru d’environ 15 milliards d’euros en raison de la mise en œuvre du second plan d’aide à la Grèce. Il faut donc s’attendre à une austérité renforcée voulue par le gouvernement. « L’Union européenne s’est mise volontairement dans les mains des marchés financiers. Or, ces derniers envoient des injonctions contradictoires : ils veulent de la rigueur, mais en même temps ils s’en inquiètent, car ils savent que cette austérité est porteuse d’une logique récessive, explique Pierre Khalfa. Une spirale destructrice est en train de se mettre en place : pour réduire les déficits, les gouvernements mettent en œuvre des plans d’austérité drastiques, ceux-ci vitrifient l’activité économique, ce qui réduit les recettes fiscales… et accroît les déficits, justifiant ainsi de nouveaux tours de vis qui aggraveront la situation. Et nous ne sommes qu’au début de ce processus au niveau européen ! »



4. Les marchés seront-ils 
pour autant satisfaits ?

« La grande obsession, à juste titre, des gouvernements est le risque de contagion », souligne Dominique Plihon. Les dirigeants européens craignent qu’une faillite de la Grèce se propage à d’autres pays comme l’Italie ou l’Espagne, et provoque l’écroulement de la zone euro.


« Ils doivent se rendre compte que leurs politiques ont échoué, ajoute Dominique Plihon. La politique qui consistait à imposer une super-austérité à la Grèce entraînera cette année une décroissance du PIB de 5 %, alors qu’ils avaient prévu 2 à 3 %. La Grèce est en train de s’écrouler en termes de croissance. » Et le Pacte de stabilité et de croissance européen, imposant un déficit public limité à 3 % du PIB, a largement fait la preuve de son inefficacité. Cependant, un accord de principe pour durcir ce pacte et la rigueur dans l’Union face à la crise de la dette a été conclu récemment entre le Parlement et les gouvernements européens pour convaincre les marchés. Mais ces derniers mois ont montré que ces décisions n’ont en rien freiné la spéculation financière.



5. La faillite grecque mettra-t-elle fin à la crise de la dette ?


Éponger la dette grecque ne suffira pas à sortir le pays et l’Union européenne de la crise. Et les programmes de réformes taillant dans les dépenses sociales pour réduire les déficits ne sont plus pertinents. « L’Europe doit-elle garder pour objectif la libéralisation des marchés financiers ? La substitution des fonds de pension aux systèmes publics de retraite ? Les baisses d’impôts ? », s’interroge l’économiste Henri Sterdyniak.


Pour sortir de la crise de la dette en Grèce et dans les pays en difficulté, il faut « annuler tout ou partie de la dette et rompre avec les marchés financiers en monétisant les dettes publiques. La Banque centrale européenne doit pouvoir financer les déficits publics », estime Pierre Khalfa, qui exige plus largement une réforme de la fiscalité en Europe, « afin de revenir sur la contre-révolution fiscale qui s’est déployée depuis trente ans, qui a consisté à baisser les impôts des plus riches et des entreprises. Ce sont ces cadeaux fiscaux qui sont à l’origine du gonflement de la dette publique ».

Autre mesure de sortie de crise, le système bancaire devra être mis « sous contrôle », conclut le coprésident de la Fondation Copernic. « Si les gouvernements ne mettent pas en place ces réformes de fond, c’est-à-dire s’ils laissent les États dans les mains des marchés financiers, nous allons droit vers la catastrophe. Et ce qui est en jeu n’est autre que la destruction de l’État social. » Cet horizon a suscité l’unanimité des syndicats en Europe contre les plans d’austérité, un mouvement des Indignés dans certains pays, et un début de prise de conscience sur les alternatives à mettre en œuvre.

Monde Économie
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