Hymne : expérience H

Lydie Salvayre imagine Jimi Hendrix à partir
de ce moment clé où
il enflamma la pelouse de Woodstock.
Il en résulte une épopée exaltée et exaltante.

Ingrid Merckx  • 15 septembre 2011 abonné·es

C’est un livre exalté. Pas l’exaltation des illuminés mais celle de l’enthousiasme osé, débridé et pensé. Lydie Salvayre se moque bien de marcher dans les clous des biographes ou de satisfaire aux appétits encyclopédiques. D’ailleurs, elle ne consigne pas la vie de Jimi Hendrix, elle la raconte : non qui il fut mais quel personnage elle imagine, « au gré des fictions que j’ai brodées… ».

Lydie Salvayre s’est documentée mais revendique un « esprit analphabète », celui « cher au philosophe Benjamin, qui désignait par là non l’ignorance fruste, expéditive et fière d’elle-même, mais une approche démunie de toute volonté de maîtrise, de tout désir d’autorité, de tout savoir ornemental ». Ce qui l’intéresse, c’est de faire (re)vivre ce héros de légende, tel Orphée ou Agamemnon, cet homme devenu mythe que fut et qu’est resté Hendrix. 
Cet « hymne » du titre, c’est d’abord celui qu’entonna Hendrix le 18 août 1969, lors de ce concert donné à Woodstock à 9 heures du matin, devant des spectateurs étourdis par trois jours de musique sans sommeil.

Cet hymne qui se confond avec un cri, clé de voûte du roman, du personnage et de son admiration à elle pour lui. Ce cri dont « le pouvoir d’interpellation reste intact » et qui donne lieu à des passages ébouriffants : 3’43 de pure fureur où sa musique « brassa dans un même chœur les sanglots des Indiens Cherokee chassés de leurs sauvages solitudes, la nostalgie des esclaves noirs qui chantaient le blues des champs de coton, les fureurs électriques du rock’n’roll moderne et les sons si nouveaux du free-jazz ». Comme si toutes les Amériques s’étaient rencontrées là, sur cette pelouse, hurlant contre la mort « d’une époque prise entre la fin de l’euphorie idéaliste des années 60 et le surgissement d’un monde plus rapace et brutal, d’un monde happé par l’obsession du calcul économique ». Un concentré de dégoût de la guerre et du racisme qui, en convoquant une Amérique exécrée, retournait l’hymne national contre lui-même, « The Star Spangled Banner ».


Cet « hymne », c’est aussi celui que Salvayre chante à Hendrix. Alors oui, elle se répète, mais comme des groupes de mots reviennent dans une chanson, comme un motif est repris dans une partition, pour être développé, modulé, argumenté. Oui, elle s’enflamme, oui elle le rend christique, ce métisse cherokee-noir vêtu de paillettes, mais en même temps profondément humain.
Lydie Salvayre donne chair et âme au musicien. À la lire, on ne retient pas forcément de lui ses rencontres, ses dieux ou le nom de ses guitares chéries, mais ses tourments d’enfant, cet alliage de douceur et d’énergie, et ces ressorts intimes qui l’ont poussé à devenir ce monument. 


Hymne est un exercice de style — et si j’écrivais ce que Hendrix m’inspire ? — mais au sens noble : Lydie Salvayre trouve une forme brillante à son idée, tissant les anaphores, les relatives et les incises, jouant de l’emphase, qu’elle brise avec des interjections ou un lexique plus direct ou plus argotique, s’interrompant pour glisser une citation ou un commentaire sur sa démarche : « Je ne veux plus parler que des choses qui, véritablement, m’importent et me touchent à vif. Je ne veux plus avoir d’autres liens qu’avec ceux-là qui m’aident à vivre, connus ou anonymes, morts ou vivants. »


Alors elle déclame, scande, slame presque, composant un long poème plein de souffle, une épopée qui a l’emportement renversant et communicatif. À travers cet hymne, Hendrix s’incarne, se meut, s’émeut, émeut.

Culture
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