Israël Palestine : « L’apocalypse politique est pour vendredi »

Un meeting contre l’adhésion de la Palestine à l’ONU s’est tenu ce mardi à Paris. Il faisait écho à l’appel de 110 parlementaires qui critiquent une « démarche dangereuse, contreproductive et illusoire » de Mahmoud Abbas. Reportage.

Erwan Manac'h  • 21 septembre 2011
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Israël Palestine : « L’apocalypse politique est pour vendredi »
© Photo Une: AFP / Bertrand Guay, Dominique Faget, Lionel Bonaventure

Cela devait être « une belle soirée, fraternelle et tolérante ». Ce mardi 20 septembre, au Théâtre du Gymnase, dans le Xe arrondissement de Paris, les députés Claude Goasguen (UMP), Jean-Marie Le Guen (PS) et « les amis d’Israël » s’étaient donnés rendez-vous « pour la paix ».

Deux jours après la publication, dimanche 18 septembre, d’une « lettre ouverte à Nicolas Sarkozy » exhortant le chef de l’État à faire opposition à l’adhésion de la Palestine aux Nations unies, ces défenseurs d’Israël en France avaient réuni des « experts » et des responsables politiques pour tenter de faire entendre leur « profonde inquiétude» . Dans une salle «bunkerisée» pour l’occasion – portiques de sécurité, cars de CRS par dizaines et vigiles précautionneux à l’entrée – ils ont défendu leurs « espérances (…) pour la reprise des négociations directes entre Israéliens et Palestiniens » afin d’aboutir à la reconnaissance de la Palestine et la cohabitation de « deux peuples [et] deux États ».

Illustration - Israël Palestine : « L’apocalypse politique est pour vendredi »

Mais derrière cette ambition de façade, les mots sont ceux d’un camp retranché en situation de guerre. Durs et alarmistes. « L’heure est grave, vraiment très grave , lance Christine Boutin présidente du Parti démocrate chrétien, en tribune. La déclaration du Hamas (sic) est un acte d’agression envers Israël . »

La candidature que le Secrétaire général du Fatah, Mahmoud Abbas, portera vendredi 23 septembre au nom de la Palestine à l’ONU légitimerait, selon-eux, la haine palestinienne et arabe « envers les diables américains et israéliens » . « Que l’adhésion soit ou non acceptée, cela créera des frustrations » , lance Claude Goasgen, député UMP de Paris et président du groupe d’amitié France-Israël à l’Assemblée nationale, ovationné par la foule. « C’est une véritable explosion que nous avons devant nous , s’inquiète à son tour Édith Cresson, Premier ministre de François Mitterrand (de mai 1991 au avril 1992). Cela va créer des protestations et des ressentiments supplémentaires. Nous devons sortir de ce psychodrame et aller vers un débat sans arrière pensée ».

L’égo de Mahmoud Abbas

Chez ces défenseurs d’Israël, l’inquiétude cache une profonde haine envers les représentants de l’Autorité palestinienne. « Le sort des Palestiniens – qui est d’ailleurs bien meilleur que ce qu’on dit souvent dans les médias français – ne sera pas amélioré par cette demande d’adhésion. Elle ne sert qu’à satisfaire un peu plus l’égo de Mahmoud Abbas » , s’emporte Bruno Tertrais, politologue et membre du « laboratoire d’idées » Terra Nova, qui présage une « apocalypse politique pour vendredi ». Les Palestiniens sont tenus pour responsables de l’échec de « toutes les demandes de négociations portées par Israël ces dernières années» , dixit Claude Goasguen. Ils sont les visages de «la menace» toujours plus préoccupante pour la sécurité d’Israël : « Le Hamas est un cancer qui se métastase , s’inquiète Jean-Luc Mano, journaliste et animateur de la soirée. Une déclaration unilatérale déchirerait en quelques minutes 20 ans de négociations pour la paix. »

Illustration - Israël Palestine : « L’apocalypse politique est pour vendredi »

Dans la salle, des drapeaux israéliens ont été suspendus par le public et quelques pancartes « Sarkozy ne nous trahis pas » font de brèves apparitions. Les absents de renom sont excusés et font lire quelques mots : un salut plein de « sympathie » de la part de Jean-François Copé et une dédicace amicale de Manuel Valls qui rend hommage aux « voix de la raison » qui s’expriment ce soir. En fond de scène, les portraits des 110 parlementaires de tous bords politiques qui ont signé la « lettre à Nicolas Sarkozy » sont projetés et acclamés chacun leur tour, pendant de longues minutes. À l’applaudimètre c’est Éric Raoult, ancien ministre de la Ville et député-maire UMP du Raincy, défenseur public de la construction du mur en 2004 et soutien de Ben Ali, qui l’emporte, au coude-à-coude avec les députés UMP de Paris Bernard Debré et Françoise de Panafieu, également signataires.

« Un pogrom diplomatique »

Pour ces parlementaires et les intervenants présents ce mardi soir, l’adhésion de la Palestine à l’ONU est surtout un sérieux camouflet pour Israël. Ils fustigent une « opération de dé-légitimation de l’État du peuple juif» ou pire, « un pogrom diplomatique » , d’après les termes du sociologue et philosophe Schmuel Trigano : Le véritable objectif de cette manœuvre, poursuit-il, est de pouvoir attaquer Israël devant le Tribunal pénal international » . « La question de la légitimité d’Israël est insidieusement posée dans les débats » , abonde Jean-Marie Bockel sénateur du Haut-Rhin et ministre d’ouverture de Nicolas Sarkozy.

Car depuis le gel des négociations avec l’Autorité palestinienne, en septembre 2010, l’État hébreux est isolé sur la scène internationale. La fin du moratoire sur la colonisation de la Cisjordanie aura tué dans l’œuf les tentatives de pourparlers. Un échec, que les intervenants renvoient sur les Palestiniens et leurs « arrières pensées » , coupables de demander avant toute discussion que les « implantations » (sic) s’interrompent en territoire palestinien.

Toute la semaine à New York, les tractations se poursuivront en marge de la 66e session de l’ONU qui s’est ouverte mardi 20 septembre. Mahmoud Abbas devrait déposer vendredi la demande d’adhésion de la Palestine aux Nations unies. Le vote se tiendra quelques jours, voire quelques semaines plus tard, tandis que plus de 120 États sur 193 membres de l’Assemblée générale de l’ONU ont déjà déclaré leur soutien à la démarche.

Quoi qu’il arrive, les États-Unis devraient bloquer une adhésion pleine et entière en opposant leur véto en Conseil de sécurité alors que la France n’a pas encore fait connaître sa position. « Je suis très confiant sur ce que Nicolas Sarkozy va dire et sur ce que la France va faire vendredi à l’ONU , se rassurait mardi soir Éric Raoult. Le président a toujours été un ami d’Israël. »

**VIDÉO : Claude Goasguen à la sortie du meeting : *« Le seul pays qui ait une légitimité dans cette affaire, c’est Israël. »


Lettre ouverte à Nicolas Sarkozy, signé par 110 parlementaires le 18 septembre 2011 :


Parmis les signataires, on notera, en vrac, la présence de Jean-Michel Baylet, président du PRG, sénateur et candidat à la primaire socialiste ; George Paul-Langevin, députée PS de Paris ; Olivier Dassault, député UMP de l’Oise ; Jean-Jacques Urvoas, député PS du Finistère ; Lionnel Luca, député UMP et co-président de la Droite populaire ; Jean-Luc Bennahmias, vice-président du Modem ; André Vallini, député de l’Isère.

Liste complète des signataires:

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