« L’action publique sous pression »

Vincent Drezet, secrétaire national de l’Union Snui-SUD Trésor, estime que le projet de loi de finances pour 2012 a un effet contre-productif sur l’économie et renforce les inégalités.

Thierry Brun  • 20 octobre 2011 abonné·es

En débat à l’Assemblée nationale jusqu’au 16 novembre, le projet de loi de finances pour 2012 poursuit un objectif de réduction des dépenses de l’État. Vincent Drezet, secrétaire national de l’Union Snui-SUD Trésor, conteste ce choix.

Le budget pour 2012 s’inscrit dans une logique de retour à l’équilibre des finances publiques. Les objectifs vous paraissent-ils tenables ?

Vincent Drezet : Pourquoi le gouvernement veut-il forcer à un retour rapide à l’équilibre des finances publiques ? Il faut certes l’envisager, mais sur un long terme, vu l’ampleur de la crise et des besoins. Et réduire le déficit ne veut pas forcément dire compression des coûts. Pourquoi ne pas utiliser les moyens de la relance par l’investissement public ? Certaines dépenses socialement utiles génèrent une activité économique et donc des recettes qui réduiront le déficit public.

Ce n’est pas la voie empruntée par le gouvernement. Celle qui a été retenue, qui est déjà un échec, consiste à prescrire plus de rigueur là où l’on a déjà imposé un retrait de l’action publique et un recul de la protection sociale. Dans le passé, cela n’a pas eu d’effet économique positif, et on sait que les effets sociaux ont été dévastateurs ! De ce fait, on peut s’interroger sur la légitimité des choix gouvernementaux et sur leur efficacité.

Mais la perspective gouvernementale est d’appliquer une règle d’or d’équilibre des finances publiques exigée par l’Union européenne…

Le choix du gouvernement consiste à réduire les dépenses publiques et à augmenter quelques prélèvements, pour la plupart injustes. Cela risque d’avoir un effet contre-productif sur le plan économique et cela ne rétablit pas davantage de justice sociale.

Ce choix préexistait avant la crise parce que l’école néolibérale considère que l’État est le problème. La crise sert de prétexte pour instituer un ordre économique où s’exerce une pression constante sur l’action publique. On le voit avec le débat en France sur la règle d’or et la réduction rapide des déficits publics, mais aussi avec l’instauration du Semestre européen et du Pacte pour l’euro.

De plus, la réduction des moyens pèse sur la bonne gestion de l’impôt et sur la détection de la fraude. On a perdu plus de 16 % des effectifs depuis 2002 à la direction générale des Finances publiques. Or, on considère que la fraude et l’évasion fiscale représentent entre 45 et 55 milliards d’euros par an. C’est considérable ! Cela représente le niveau du déficit public avant la crise et cela se retourne contre l’intérêt général.

Les nouvelles mesures fiscales et certaines taxes s’inscrivent-elles dans la continuité ?

La compression des dépenses publiques est à l’œuvre depuis plusieurs années avec notamment la révision générale des politiques publiques (RGPP). Sur la partie des recettes, un saupoudrage fiscal a été survalorisé médiatiquement, notamment la contribution sur les hauts revenus.
L’orientation, en fait, n’a pas changé : on privilégie toujours un certain nombre d’impôts qui pèsent sur la consommation, taxes sur les alcools, les boissons sucrées… On privilégie aussi un rabotage uniforme de quelques niches fiscales sans regarder en profondeur la structure des impôts, qu’il s’agisse de l’impôt sur le revenu, sur les sociétés, ou la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), et sans examiner le véritable rapport coût-efficacité.
Il y a déjà eu un coup de rabot l’année dernière, dans une pure logique budgétaire, comme l’imposition de la moitié des indemnités journalières et la suppression d’une demi-part pour plus de 2 millions de contribuables célibataires, divorcés ou veufs. Ce ne sont pas des niches : les « vraies » niches sont celles qui sont volontairement utilisées par les contribuables. Elles sont globalement concentrées sur peu de contribuables et creusent les injustices fiscales. Ce faisant, on maintient de véritables privilèges fiscaux sans se préoccuper de leurs effets sociaux et économiques.

La contribution « exceptionnelle » sur les hauts revenus répond-elle à des principes d’équité ?

Le gouvernement affirme que la France « dispose de tous les atouts pour renouer avec une dynamique de croissance plus forte » l’année prochaine et promet 11 milliards d’euros d’efforts budgétaires en 2012 pour compenser la révision à la baisse de sa prévision de croissance (1,75 % prévu en 2012). François Fillon invoque le respect des engagements de la France sur le déficit public, qui devrait être réduit à 4,5 % du PIB. Pour Xavier Timbeau, directeur du département Analyse et Prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), le projet de loi de finances en débat à l’Assemblée nationale « amputera la croissance de 1,5 point de PIB en 2012 » . Le plan d’économie ne suffirait donc pas. L’austérité budgétaire est en train de plomber les prévisions de rentrées fiscales.

On peut se satisfaire a minima du fait qu’il y a un débat sur l’imposition des grandes fortunes, montrant par exemple que les revenus du 1 % des Français les plus riches ont augmenté massivement ces dernières années. Pour mémoire, entre 2004 et 2008, les revenus des 0,1 % des Français les plus riches se sont accrus de 19 %, quand dans le même temps les revenus de 90 % de la population n’ont augmenté que de 5 %.

Mais cette contribution est une montagne qui va accoucher d’une souris. Elle représentera moins de 1 % du rendement de l’impôt sur le revenu. C’est une réponse particulièrement décalée, parce que, si on avait maintenu en 2000 le barème de l’impôt sur le revenu, il rapporterait aujourd’hui près de 16 milliards d’euros en plus par an. Ainsi, depuis 2000, on aurait cumulativement récupéré 127 milliards d’euros, c’est-à-dire plus de 40 % du budget de l’État.

Si l’on ajoute les baisses en matière de fiscalité du patrimoine (la loi Tepa), on s’est privé de 2 milliards d’euros par an. La récente réforme de l’impôt sur la fortune s’est traduite par une perte pour l’État de plus de 2 milliards d’euros. Et si on y ajoute un certain nombre de niches fiscales concernant notamment les catégories les plus aisées, on voit qu’une grande partie de la dette est une « mauvaise dette ».

Pendant plusieurs années, on nous a dit que ces allégements fiscaux redonneraient du pouvoir d’achat aux bénéficiaires des baisses, que cela se traduirait par plus d’investissements et plus d’emplois. Aujourd’hui, on est obligé de constater qu’il n’y a pas eu d’impact positif. Au contraire, cela a alimenté la dynamique des inégalités.

Économie
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