Presse papier ou web : faut-il choisir ?

À l’agonie, France Soir a annoncé la fin de sa parution papier pour se consacrer exclusivement au web. À l’approche des échéances électorales de 2012, les journaux développent des stratégies en ligne qui devraient bouleverser le paysage médiatique.

Erwan Manac'h  • 12 octobre 2011
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Presse papier ou web : faut-il choisir ?
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© AFP / Thomas Coex / AFP

France Soir , qui tirait à plus d’un million d’exemplaires dans les années 1950, a annoncé à ses employés lundi 10 octobre l’arrêt de sa parution papier pour le mois de décembre, pour se consacrer exclusivement au web. Cette annonce fait écho au choix d’un autre quotidien économiquement fragile, La Tribune , qui a aussi temporairement stoppé sa diffusion papier au mois d’août dernier en misant sur internet.

Au même moment, Rue89, Mediapart, Slate.fr, médias pure player créés exclusivement sur le net, s’imposent dans le paysage médiatique. Avec Owni, BastaMag, Bakchich, [Arrêt sur images](Arrêt sur images) sur leur gauche et Atlantico sur leur droite. Le 15 octobre, un nouveau site d’information pure player , Quoi.info, devrait voir le jour. Et Le Monde , en partenariat avec le site américain Huffington Post , a annoncé le lancement d’un autre site d’info pour le mois de novembre.

« C’est une bonne nouvelle , analyse Erwann Gaucher, journaliste et consultant sur les nouveaux médias. Cela montre que le centre de gravité des médias s’est déplacé en ligne. »

Le web est-il en train de tuer le papier ?

Pour rajeunir leur lectorat et enrayer la chute des ventes de la presse généraliste nationale, les journaux sont désormais contraints d’investir sur internet. Mais « le web et le papier sont complémentaires , estime Alain Joannes, journaliste, blogueur et fervent défenseur du journalisme multimédia. Les journaux doivent mettre en place des stratégies complémentaires web et papier, en analysant lucidement les usages. La presse écrite ne peut plus courir derrière l’audiovisuel, elle n’a plus de raison d’exister face au temps réel qui s’impose sur le web. » La presse papier est donc amenée à jouer un rôle nouveau en déclinant des analyses, sur le temps long, complémentaires avec internet.

Plusieurs sites pure player font d’ailleurs le chemin du web vers le papier, en cherchant à imprimer leur contenu. C’est le cas de Rue89 qui a lancé avec succès un magazine mensuel dans les kiosques. L’association Acrimed (Action Critique des Médias) a aussi lancé – à son échelle – le 1er octobre un magazine trimestriel, « Médiacritiques(s) », pour proposer « un mode de lecture différent », plus adapté à des articles d’analyse. Une expérience a également été tentée par Bakchich en kiosque, avant que le site alternatif ne périclite en janvier dernier (puis ressuscite au mois de juin).

Trouver sa niche

Face à la révolution numérique, qui prendra en 2012 une dimension toute particulière en France, la presse doit donc établir une stratégie pour se distinguer. « Il faut construire une « marque média », un titre avec des valeurs respectées et visibles , explique Alain Joannes. Le web fonctionne avec des niches. Chaque média doit développer une vision stratégique spécifique avec un modèle économique. »

Il s’agit de séduire des annonceurs en drainant un public particulier, comme le fait le Figaro en lançant des sites spécialisés dans le vin, par exemple. Le succès de MediaPart prouve aussi que le web-journalisme peut être payant, si tant est que son offre soit suffisamment riche et intéressante. Le quotidien Les Echos réalise de son côté 6,1% de ses ventes (7 376 exemplaires) en version numérique, d’après les chiffres de l’OJD, en s’adressant à un public très connecté.

Le cas de France Soir , un parfait contre-exemple, ressemble à une lente agonie. Depuis le rachat du titre, en janvier 2009, par Alexandre Pougatchev, un homme d’affaires russe de 25 ans, fils d’un oligarque proche de Vladimir Poutine, la rédaction vit difficilement une tentative de virage éditorial vers une ligne « trash-people ». Le plan de reconversion à 100 % sur le net devrait entraîner la suppression de 89 postes sur 116. « Cette reconversion aurait pu être intéressante, mais plus tôt et avec une vraie stratégie » , estime Erwann Gaucher.

«Une guerre en ligne»

Sur fond de révolution technologique, on devrait donc assister à une redistribution des rôles au sein de la presse, nécessairement multisupport. « Le projet annoncé par *Le Monde et le Huffington Post sonne le vrai début de la guerre en ligne* , estime Erwann Gaucher. Et il y aura des morts, une fois retombé l’engouement pour la campagne présidentielle. Il y a un risque de saturation, vu le nombre de projets sur le web. »

Dans cette bagarre pour le partage d’un marché publicitaire saturé, les sites généralistes, qui reproduisent les dépêches d’agence de presse pour attirer du clic et s’arroger des ressources publicitaires, devraient souffrir. Pour s’en sortir, il faudra jouer la carte de la singularité… et de la qualité.


Résultats comparés de Rue89 , Médiapart et Slate (Mars 2011)

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Source : Source Nielsen NetRatings / L’expansion

Médias
Temps de lecture : 4 minutes
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