Quelles solutions pour la crise ?

Austérité, problème de la dette grecque, recapitalisation des banques… Différents débats animent la sphère financière et politique. État des lieux des solutions envisageables avec l’économiste François Morin.

Anne Solesne Tavernier  • 7 octobre 2011
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Politis.fr  **: Que faire concernant l’endettement public européen ?**
_ François Morin  : Le débat est-il entre austérité et croissance ? Ce qu’il faut se demander réellement, c’est si la dette est énorme. La réponse : oui et non. Il y a une faiblesse évidente des Etats à cause de l’endettement, c’est sûr. Mais, il y a aussi une force incroyable du côté bancaire. Prenons un exemple pour se faire une idée. À la date du 31 décembre 2010, l’endettement public français était d’un peu plus de 1 500 milliards d’euros. À la même date, le total de bilan (indicateur utilisé pour mesurer la puissance d’une banque) d’une banque comme BNP Paribas était de 2 000 milliards d’euros. À l’échelle internationale, le total des bilans des onze premières banques mondiales égalait l’endettement public mondial. Le débat entre réduction des déficits publics et relance de la croissance est un débat de surface. On n’est pas sur les vraies solutions qui peuvent avoir une crédibilité face au diagnostique que l’on fait de la crise.

Pourtant la question de la dette souveraine grecque se pose ?
_ La dette grecque s’élève à 350 milliards d’euros et elle augmentera un peu plus chaque année. Le pays est en récession depuis cinq ans et sa croissance est négative. Il y a beaucoup d’effets d’annonce depuis deux ans, mais les mesures prises n’ont pas vraiment eu de résultats. Depuis deux ans déjà, on sait que la dette est insoutenable, elle ne peut pas être remboursé. Il faut la restructurer. Mais, la Troïka (FMI, commission européenne, banque centrale européenne) s’y opposent. Pour eux, la solution ce sont les aides d’Etat, continuer à injecter des fonds pour que la Grèce s’en sorte progressivement. Ils ajoutent que s’il y a restructuration, il y a risque de contagion.

Pourquoi y aurait-il contagion ?
_ Sur la dette grecque, il y a des produits dérivés, les fameux CDS (couverture contre une défaillance d’un émetteur d’une obligation). Les plus grandes banques sans qu’on sache exactement qui, ni combien, ni pour quel montant, ont émis des CDS sur la dette grecque. **** En cas de restructuration, les CDS vont se déboucler. Les banques émettrices vont devoir payer ceux qui détiennent ces assurances particulières. Le problème c’est qu’il y a des « CDS nus ». Ce sont des CDS émis par les banques achetés par des spéculateurs qui achètent sans avoir de titre. On ne sait pour quel montant il y a eu émission de CDS nus. Si les CDS se déclenche, les grandes banques devront payer pour les CDS et les CDS nus, probablement pour des sommes considérables. On pourrait interdire les CDS nus comme Christine Lagarde l’avait proposé en janvier 2011. Sauf qu’on ne sait pas distinguer les CDS nus des autres CDS. Pour supprimer les CDS nus, il faut supprimer tous les CDS !

Pourquoi ne le fait-on pas ?
_ C’est le vrai le problème. Il s’agit d’un produit dérivé parmi d’autres. Pourquoi supprimer cette catégorie de produits financiers par rapport à une autre ? Faut-il supprimer tous les produits dérivés ? C’est là que le bât blesse : le fonctionnement des marchés financiers est basé essentiellement sur les transactions de produits dérivés. Ce qu’il faudrait, ce n’est pas rendre ces marchés plus transparents comme le propose le G20, mais s’interroger plutôt sur leur utilité.

Et la taxation sur les opérations financières ?
_ C’est un débat qui oppose les Allemands et les Français aux Anglo-saxons. Ces derniers sont contre, nous seulement en raison de leur idéologie libérale, mais surtout à cause de la perturbation qui affecterait l’équilibre des marchés financiers : le nombre de transactions serait en effet diminué.

Pour sortir de la crise financière, on parle de recapitaliser les banques.
_ Cela suppose que les banques trouvent des ressources sur les marchés financiers en émettant des actions. L’estimation du moment est de dire qu’il faudrait 300 milliards rien que pour les banques européennes. Mais les banques hésitent parce que les fonds propres leur coûtent cher. En effet, cela implique qu’elles doivent rémunérer davantage des actionnaires. Il y a un chantage des banques, qui disent : « si vous exigez de nous une recapitalisation, alors notre activité de crédit va en pâtir et la croissance en souffrira ». Cette solution est celle du G20. Les banques ont pris trop de risques, il faut les remuscler, les museler davantage en exigeant d’elles des fonds propres plus importants.

Séparer les activités de marchés des activités de crédit des banques est-il faisable ?
_ Il y a une tentative de séparation des grandes banques et des hedge funds aux Etats-Unis. Mais, cette réforme est jugée peu efficace. Au Royaume-Uni, on parle de créer une sorte de muraille de Chine entre chaque activité, mais le tout pourrait rester sous le chapeau de la banque. La loi est en discussion. Cependant, la vraie solution pour éviter les dégâts serait la séparation patrimoniale, deux entités complètement distinctes.

On dit que la solution pour sortie par le haut de la crise serait d’aller vers des euro-obligations.
_ C’est l’idée du fédéralisme européen. On crée des obligations dites européennes, qui ne soient pas la marque d’un pays particulier. Chaque pays pourrait notamment les échanger contre sa propre dette. Cela suppose un budget européen plus important qu’aujourd’hui et une étape politique majeure vers le fédéralisme en Europe. Cette idée suppose également de consentir des abandons de souveraineté énormes. Est-on prêt ? Mais, plus fondamentalement encore est-ce la vraie solution ? Non. Prenons l’exemple d’un pays fédéral encore plus endetté que l’Union européenne, les Etats-Unis. Parce qu’on les imiterait, on n’aurait alors plus aucun problème du côté des marchés financiers ? Les Américains ont eu leur note dégradée sur leur dette début août…

Quelle serait votre solution ?
_ La principale mesure serait de revenir sur cette folie qu’a représentée la libéralisation des taux de change et des taux d’intérêts. Il faut de nouvelles règles et re-stabiliser le système à partir de là. Quand on parle de taux de change et de taux d’intérêt, de quoi parle-t-on ? On parle de l’échange de monnaies (taux de change), et du prix qu’il faut payer pour avoir de la liquidité (taux d’intérêt). Revenir à l’idée de Keynes en 1944 (lors de la conférence de Bretton Woods), de créer une monnaie internationale, n’est pas inintéressant. Cette monnaie ne serait pas forcément unique, mais serait une monnaie « commune » par rapport à laquelle les autres devises se réfèreraient dans des taux de change fixes (et ajustables périodiquement).

Il faudrait que le FMI ou une nouvelle instance internationale puisse créer cette monnaie commune à travers laquelle pourraient s’organiser les échanges monétaires. Si on va vers une monnaie commune à l’échelle internationale, d’un seul coup, on tue en grande partie la spéculation sur les taux de change et la spéculation sur les taux d’intérêt. Le marché n’aurait qu’une faible marge de spéculation puisque tous les instruments seraient entre les mains d’une seule instance. Mais cela suppose des abandons de souveraineté et ce n’est pas une idée qui peut se faire du jour au lendemain. Il faudrait néanmoins dès à présent jeter cette perspective afin d’amorcer un processus de re-stabilisation des marchés. Progressivement, on entrerait dans une sphère où les taux de change et les taux d’intérêt verraient leurs prix davantage régulés.

Économie
Temps de lecture : 7 minutes
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