Egypte, la révolution à l’épreuve

À une semaine des élections législatives, l’Égypte connaît une nouvelle crise politique, particulièrement sanglante. L’armée est soupçonnée de vouloir s’accrocher au pouvoir.

Denis Sieffert  • 24 novembre 2011 abonné·es

Après trois jours d’affrontements et près de 30 morts, l’Égypte se préparait mardi à une nouvelle manifestation à haut risque, place Tahir, au Caire. Une manifestation à laquelle n’appelaient pas les Frères musulmans, grands favoris des élections législatives toujours programmées pour le 28 novembre.
Lundi soir, le gouvernement d’Essam Charaf, nommé en mars par l’armée, et chargé d’assurer la transition démocratique, avait remis sa démission, semblant céder à la population. Mais, derrière cette fiction politique, c’est évidemment le pouvoir de l’armée qui est en cause. À l’origine des heurts, la crainte d’une partie de la population d’être spoliée des bénéfices de la révolution par les militaires. Les manifestants réclament leur départ du pouvoir, qu’ils occupent depuis neuf mois. La cible principale des slogans est le maréchal Hussein Tantaoui, qui fut ministre de la Défense sous Moubarak, et qui est aujourd’hui dirigeant de fait du pays. « Le peuple veut la chute du maréchal » , scandait la foule dimanche.

Également chef d’État-major de l’armée, il s’était acquis un certain prestige en refusant de faire tirer sur la foule lors du soulèvement du début de l’année, précipitant ainsi la chute de l’ex-raïs. Beaucoup d’Égyptiens pensent que cette option a été dictée au maréchal Tantaoui depuis Washington pour sauver ce qui pouvait être sauvé du pouvoir, en sacrifiant Moubarak. D’où la crainte que les militaires s’accrochent au pouvoir. Ce soupçon a été renforcé par la décision du gouvernement provisoire de retirer au futur Parlement le contrôle du budget de l’armée. Les Frères musulmans sont en première ligne dans la bataille politique contre toute restriction des prérogatives des députés. La confrérie affirme combattre les articles « antidémocratiques » du projet de prochaine Constitution. Il est vrai que les élections législatives, qui débutent le 28 novembre, devraient donner une position de force au parti Liberté et justice, expression politique des Frères musulmans. C’est la raison pour laquelle la confrérie n’appelait pas à la manifestation de mardi, de peur, sans doute, que des affrontements donnent prétexte à l’armée pour différer la date du scrutin.

Après les élections législatives, le futur Parlement aura en principe six mois pour rédiger une nouvelle Constitution, avant l’élection présidentielle, dont la date n’a pas encore été fixée. Tout cela, à condition bien sûr que le pays surmonte la nouvelle épreuve de ces derniers jours.
On notera au passage le décalage entre les craintes des Égyptiens de voir s’installer durablement un pouvoir militaire occulte, dans l’ombre du futur pouvoir civil, qui pourrait s’apparenter à une situation à l’algérienne, et une certaine vision occidentale instrumentalisant la peur des islamistes, sans opérer d’ailleurs la moindre distinction entre les Frères musulmans, inscrits depuis quatre-vingts ans dans la vie politique, et les salafistes.

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