Une Renaissance mondialisée

Le sociologue Jerry Brotton souligne l’influence
de l’Orient sur l’Occident
aux XVe et XVIe siècles.

Denis Sieffert  • 4 novembre 2011 abonné·es

En ces temps de crise de la dette, on lit sans doute trop peu Thomas d’Aquin. Au XIIIe siècle, le théologien jugeait que « recevoir un intérêt pour l’usage de l’argent prêté est de soi injuste, car c’est faire payer ce qui n’existe pas » . Un fâcheux précepte pour nos marchés financiers ! Mais l’époque avait déjà ses hypocrisies. C’est parce que ni le christianisme ni l’islam ne voulaient donner à voir leur implication dans un système bancaire naissant qu’on sollicita les juifs pour servir d’intermédiaires. Hélas, le service rendu s’est rapidement retourné contre celui qui, par sa religion, avait le droit de pratiquer l’usure, et finit par devenir un argument antisémite.

L’évolution du rapport de l’Église à l’argent, de la fin du Moyen Âge à la Renaissance, est l’un des innombrables sujets abordés par le sociologue britannique Jerry Brotton dans le  Bazar Renaissance , qu’on ne peut lire sans en tirer profit pour aujourd’hui. Dans un monde du XVe siècle où l’Église, encore toute-puissante, doit s’adapter à la sécularisation des sociétés, la question des relations entre les monothéismes, l’argent et le commerce se pose de façon nouvelle.

Brotton évoque tous les aspects d’une révolution culturelle marquée notamment par l’invention de l’imprimerie et l’ouverture de routes maritimes et terrestres. Une révolution humaniste qui remet en cause l’universalisme auquel prétendait l’Église catholique. Et le sujet principal de cet ouvrage est sans doute là. Brotton déconstruit l’ethnocentrisme européen. Il rappelle que la Renaissance fut avant tout une explosion de l’échange, principalement culturel. Si Florence, Venise, Pise, Gênes, Paris, l’Espagne, la Hollande ne cessent d’être les lieux privilégiés de ces bouleversements, c’est tout le pourtour méditerranéen qui est en mouvement. Le sociologue insiste sur les influences réciproques entre Orient et Occident. Il prend comme point de départ symbolique l’œuvre de Dürer, l’Enlèvement d’Europe . Ne serait-ce que pour rappeler que, dans la mythologie, la déesse qui a donné son nom à notre continent, fille du roi de Tyr, était phénicienne.

Brotton souligne les apports de l’Orient et du monde arabe, dont l’influence de l’architecture orientale sur Venise. Il réfute superbement l’idée d’un Orient barbare en face d’un Occident lieu de raffinements. La relecture qu’il nous propose de la prise de Constantinople par Medmet II, en 1453, est à cet égard édifiante. L’église Sainte-Sophie, que le pape voyait déjà réduite en cendres, fut reconvertie en mosquée, et le sultan ottoman s’est révélé un interlocuteur éclairé, ami des arts et de la culture. Et, saine émulation, le pape, ayant perdu son église d’Orient, fit construire la basilique Saint-Pierre pour soutenir la comparaison.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

François Sarano : « Il y a une vraie lueur d’espoir pour les océans si on s’en donne les moyens »
Entretien 9 juin 2025 abonné·es

François Sarano : « Il y a une vraie lueur d’espoir pour les océans si on s’en donne les moyens »

L’océanographe et plongeur professionnel ne se lasse pas de raconter les écosystèmes marins qu’il a côtoyés dans les années 1980 et qu’il a vu se dégrader au fil des années. Il plaide pour une reconnaissance des droits des espèces invisibles qui façonnent l’équilibre du monde, alors que s’ouvre ce 9 juin à Nice la Conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc).
Par Vanina Delmas
L’insurrection douce, vivre sans l’État
Idées 4 juin 2025 abonné·es

L’insurrection douce, vivre sans l’État

Collectifs de vie, coopératives agricoles, expériences solidaires… Les initiatives se multiplient pour mener sa vie de façon autonome, à l’écart du système capitaliste. Juliette Duquesne est partie à leur rencontre.
Par François Rulier
Isabelle Cambourakis : « On ne pourra plus revenir à une édition sans publications féministes »
Entretien 4 juin 2025 abonné·es

Isabelle Cambourakis : « On ne pourra plus revenir à une édition sans publications féministes »

Il y a dix ans, les éditions Cambourakis créaient la collection « Sorcières » pour donner une place aux textes féministes, écologistes, anticapitalistes écrits dans les années 1970 et 1980. Retour sur cette décennie d’effervescence intellectuelle et militante avec la directrice de cette collection.
Par Vanina Delmas
« Si ArcelorMittal tombe, c’est l’ensemble de l’industrie française qui tombe »
Entretien 27 mai 2025 abonné·es

« Si ArcelorMittal tombe, c’est l’ensemble de l’industrie française qui tombe »

Alors qu’ArcelorMittal a annoncé un vaste plan de suppressions de postes, la CGT a décidé d’entamer une « guerre » pour préserver les emplois et éviter le départ du producteur d’acier de l’Hexagone. Reynald Quaegebeur et Gaëtan Lecocq, deux élus du premier syndicat de l’entreprise, appellent les politiques à envisager sérieusement une nationalisation.
Par Pierre Jequier-Zalc