Économistes chiens de garde

Jean Gadrey  • 22 décembre 2011 abonné·es

Vous ne pouvez pas les avoir loupés, sauf si vous vous tenez systématiquement à l’écart des grands médias. Et même dans ce cas, ils vous concernent car ils défendent les idées que vous combattez : trop de dépenses publiques, l’importance du triple A, l’austérité indispensable, etc. Ce sont les économistes chiens de garde du libéralisme économique, ceux que les grands médias invitent exclusivement parce que cela fournit une légitimité « scientifique » aux discours néolibéraux que les dirigeants ou les présentateurs des JT tiennent également, mais sans les titres académiques gages « d’objectivité ». Ils sont sélectionnés par les rédactions – qui ont toutes leur short list – selon divers critères :

1) des professeurs d’université bien élevés, de sexe masculin exclusivement, qui ne mettent jamais en cause le rôle déterminant des marchés financiers dans le désordre mondial, et qui ne proposent surtout pas de les arraisonner en faisant payer les fauteurs de crise. Quand vous verrez un économiste d’Attac à un JT, prévenez-moi. Ils ont pourtant les mêmes titres académiques, la même capacité à s’exprimer clairement et ils sont des dizaines ;

2) des « pédagogues » au sens où ils savent débiter en trente secondes, avec un air aimable, des propos de café du commerce sur le ton inspiré autorisé par leurs titres.

Peu importe à ces rédactions que ces économistes se soient lourdement trompés en ne voyant rien venir à la crise jusqu’à l’été 2008, qu’ils aient affirmé ensuite à plusieurs reprises qu’on était presque au bout du tunnel : l’impunité leur est acquise.

Ces économistes et les grandes rédactions se côtoient, se recrutent mutuellement, font partie des mêmes clubs, cercles ou fondations, ont des liens communs avec les milieux d’affaires. Ces réseaux produisent la connivence pour la défense du système qui a leurs faveurs et… qui les rémunère grassement.

C’est sans doute le point le plus soigneusement caché, on comprend pourquoi[^2]. La plupart d’entre eux, en particulier les plus présents, occupent des fonctions permanentes dans des banques, fonds spéculatifs, compagnies d’assurance et autres lieux où la pensée unique devient pratique financière. Leur ligne de défense lorsqu’on leur rappelle (c’est exceptionnel, et ils considèrent cela comme très inconvenant) qu’ils sont plongés jusqu’au cou dans la finance est : c’est un gage de notre expérience ou compétence. Cela n’affecte pas notre indépendance de jugement. On peut faire une analogie avec des experts chargés de mettre au point des médicaments chez une firme pharmaceutique et qui se retrouvent dans une agence publique autorisant la mise sur le marché des médicaments. Eux aussi vont nous dire qu’ils ont des compétences sur le sujet. Il n’empêche que cela se nomme alors un conflit d’intérêt.

Mais pourquoi parlerait-on de conflits d’intérêt pour les médicaments et pas pour les médecines économiques et financières des docteurs de l’économie ? S’ils sont payés pour des fonctions permanentes de direction ou de conseil par les acteurs de la finance dérégulée, alors leur intervention dans des organismes publics chargés de mettre sur le marché politique des solutions à la crise financière devrait être proscrite.

[^2]: Si, à la télé, on présentait Daniel Cohen en ajoutant « senior advisor de la banque Lazard, il a participé à la mise au point du plan d’austérité grec », cela ferait désordre.

Économie
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