Grande-Bretagne : urgence sociale

Près de trois millions d’adultes en âge de travailler et autant de retraités vivent en dessous du seuil de pauvreté. D’où l’ampleur de la dernière mobilisation contre l’austérité et la réforme des retraites de David Cameron.

Thierry Brun  • 8 décembre 2011 abonné·es

Ce n’était pas une première, mais les salariés britanniques du secteur public se sont mis en grève avec une détermination particulière le 30 novembre, pour protester contre l’austérité et la réforme des retraites du gouvernement de David Cameron. Le Premier ministre conservateur avait déjà dû faire face en juin à un mouvement d’une ampleur inédite depuis son arrivée au pouvoir. Quelque 750 000 salariés du secteur public avaient cessé le travail, une action qualifiée par Cameron « d’irresponsable » au motif que des négociations étaient en cours avec les syndicats. Elles n’ont pas abouti par la suite…

La mobilisation du 30 novembre est une étape supplémentaire dans le bras de fer désormais engagé entre les syndicats et le gouvernement. Les salaires de la plupart des Britanniques, en particulier dans les services publics, ont été gelés jusqu’en 2013. Face à une inflation en hausse et une économie en récession, les plus démunis paient au prix fort l’actuelle politique d’austérité. « Nous n’avons pas le choix » , ont confié des grévistes britanniques du secteur public. « Ma pension de retraite annuelle de base devait être de 5 000 livres (5 800 euros) avant la réforme. Ce n’est pas le Pérou, et elle va être encore réduite » , explique Ed Jones, un urbaniste de 30 ans qui a participé à la grève dans le centre de Londres.

Jusqu’à 2 millions de salariés du public ont ainsi arrêté le travail dans les écoles, les hôpitaux, les services municipaux, les ports et les aéroports, a comptabilisé le Trade Union Congress (TUC), puissante confédération syndicale britannique qui a soutenu le mouvement. Cette flambée sociale est d’une ampleur inconnue depuis plus de vingt ans, « la plus grande grève depuis une génération » , a commenté Brendan Barber, secrétaire général du TUC, qui a invité le gouvernement à « arrêter la guerre des mots et à entamer des négociations sérieuses » avec les syndicats.

Le plan de rigueur du gouvernement présenté en mars a prévu d’aligner l’âge de départ des fonctionnaires sur celui du régime général (66 ans en 2020, contre 60 ans actuellement). Sans attendre l’issue des négociations, la mise à la retraite d’office à l’âge de 65 ans a été supprimée en octobre. La pilule de la réforme a d’autant plus de mal à passer que le gouvernement a aussi annoncé 710 000 suppressions de postes dans la Fonction publique d’ici à 2017.
Le système britannique de retraites était déjà mal en point : les fonds de pension, qui représentent une part importante dans les revenus des retraités, ont été fortement touchés par la crise des marchés boursiers.

La retraite de base forfaitaire étant très faible (moins de 500 euros mensuels pour une personne seule), les Britanniques sont victimes du transfert massif vers les fonds de pension, organisé dans les années Thatcher. « À la fin février 2010, 5 191 fonds de pension à prestations définies étaient en déficit, soit 70,5 % des 7 400 fonds suivis par le Pension Protection Fund (PPF), un fonds de rachat des fonds de pension en faillite créé en 2004 » , souligne Florence Lefresne, spécialiste de la société britannique à l’Institut de recherches économiques et sociales. En septembre, ces fonds cumulaient 229 milliards d’euros de déficit.

Le ministère du Travail et des Retraites a publié des chiffres alarmants : un quart des 12 millions de retraités du pays vivaient à la limite ou en dessous du seuil de pauvreté en 2009. « Le taux de pauvreté des retraités est parmi les plus élevés en Europe » , déplore la Convention nationale des retraités. « Les inégalités et la pauvreté sont élevées : 30 % des ménages de plus de 65 ans ont un revenu inférieur au seuil de pauvreté [moins de 800 euros mensuels pour un adulte] » , relève Florence Lefresne. Pour compléter leurs revenus, 3 millions de retraités britanniques ont repris un travail. Mais leurs statuts sont très précaires, la plupart des contrats à temps partiel et les rémunérations minimes.

Dans ce contexte, le nombre de pauvres va augmenter en 2013, anticipe l’Institute for Fiscal Studies dans une récente étude. La Grande-Bretagne devrait compter 2,9 millions d’adultes en âge de travailler en état de « pauvreté absolue » . L’effet de la crise économique est durement ressenti : au cours de l’hiver 2009-2010, 37 000 personnes âgées sont mortes de froid, faute de pouvoir se chauffer correctement, indiquait la Convention nationale des retraités. Les voyants économiques étant au rouge, les raisons de se mobiliser sont devenues une urgence sociale.

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