Le rêve de Gorbatchev

Vingt ans après la fin de l’URSS, la population, qui n’a pas vu les promesses démocratiques se réaliser, manifeste son ras-le-bol.

Claude-Marie Vadrot  • 22 décembre 2011 abonné·es

Au soir du 25 décembre 1991, les militaires du Palais portent pour la dernière fois sur la place Rouge le drapeau frappé de la faucille et du marteau. Dans son bureau du Kremlin, devant quelques collaborateurs et journalistes, notamment occidentaux, Michaël Gorbatchev déclare  : « J’ai donné à mon peuple la liberté de parole et de pensée. Mais je crains qu’il ne soit pas près d’en faire bon usage. La démocratie ne s’installe pas d’un jour à l’autre. » Il prononce également cette phrase maintes fois reprise dans ses conférences : « Il n’y a pas de réformateur heureux. » Quelques heures plus tôt, il avait annoncé à la télévision : « Je cesse mon activité au poste de président de l’URSS […]. Il me paraît vital que soient préservées toutes les conquêtes démocratiques de ces dernières années. »

Quittant le Kremlin peu après, épuisé par la tension nerveuse, il déclare ce qu’il ne cessera de répéter jusqu’à sa campagne électorale désastreuse de 1996, qui lui donnera 0,5 % des voix contre Boris Eltsine : « J’ai au moins la fierté d’avoir défait la dictature organisée par le Parti communiste sans avoir fait verser la moindre goutte de sang. »

En 1987, au cours d’une conversation informelle avec des journalistes occidentaux, Gorbatchev avait déjà confié son rêve : « Faire prendre à ce pays une orientation sociale-démocrate. Mais si vous répétez cela, je vous démentirai vigoureusement. Il est encore trop tôt pour que la nomenklatura du parti et l’armée l’acceptent. » En juin 1996, il regrettera l’indépendance des pays baltes, acceptée en septembre 1991 par une Union soviétique exsangue : « Si les États-Unis n’avaient pas poussé les pays baltes à la faute, l’URSS aurait pu survivre sous la forme d’une démocratie fédérale. »

Ce 25 décembre 1991, la place Rouge est particulièrement calme : la garde est toujours montée devant le mausolée de Lénine, et seuls quelques passants assistent à la dernière descente du drapeau soviétique. Rien à voir avec la manifestation de centaines de milliers de personnes du 24 août pour rendre hommage aux trois seules victimes du coup d’État tenté par la ligne dure du Parti communiste, qui n’encaissait pas le programme réformateur de Gorbatchev.

Les Russes, que l’on ne peut déjà plus appeler des Soviétiques puisque toutes les républiques de l’URSS ont décrété leur indépendance, sont sonnés. Ils ne réalisent pas encore qu’ils viennent de changer de pays et de société, et qu’ils peuvent désormais téléphoner dans n’importe quel pays étranger sans passer par une opératrice ! Tandis qu’à Moscou, dans le cinéma situé sur le quai de la Moskova, devant le Kremlin, on projette toujours le Repentir, film sur le stalinisme du Géorgien Tenguiz Abouladzé, qui a sûrement davantage contribué à la fin de l’URSS que Jean-Paul II.

Vingt ans plus tard, à quelques jours de la date anniversaire de la fin de l’URSS, les Russes se sont rassemblés le samedi 8 décembre pour protester contre les fraudes qui auraient permis la victoire aux élections législatives de Russie unie, le parti de Vladimir Poutine. Les manifestants exprimaient surtout la lassitude d’un pays qui n’a vu aucune promesse démocratique se réaliser.

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