Politiques et sauvageons

La classe politique, Nicolas Sarkozy en tête, appréhende la jeunesse comme un argument de communication électorale. Dangereux.

Pauline Graulle  • 15 décembre 2011 abonné·es

François Hollande en a fait un axe majeur pour 2012 : « J’ai la conviction profonde que la clé du redressement [d’une France en pleine crise économique, NDLR] se trouve dans la jeunesse ! » , clamait-il lors de son « discours à la jeunesse » , le 21 septembre. Douze ans plus tôt, c’étaient les « sauvageons » que Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur du gouvernement Jospin, entendait « redresser » dans des maisons de correction.

Brossée dans le sens du poil ou désignée comme le « mauvais objet », « la jeunesse, notait André Malraux, attire les démagogues comme le miel attire les mouches » . Toujours est-il que, depuis Mai 68, les relations entre la sphère politico-médiatique et la jeunesse française sentent plutôt le vinaigre. Les jeunes sont présentés en pantins manipulés pendant les manifestations sur les retraites, casseurs ou « petits-bourgeois qui se la jouent Spartacus » (dixit Alain Finkielkraut) lors de la mobilisation contre le CPE…

On se souvient aussi de quelques accrochages télévisés célèbres. En 1981, le chanteur à cheveux longs et blouson de cuir Daniel Balavoine avertit François Mitterrand : « Le désespoir est mobilisateur, et ça entraîne le terrorisme, la bande à Bader et des choses comme ça. Les jeunes vont finir par virer du mauvais côté car ils n’auront plus d’autre solution ! » Scène similaire quinze ans plus tard sur France 2, quand le torchon brûle entre le très droitier maire du Raincy, Éric Raoult, et les rappeurs de NTM.

Le jeune n’aime pas la politique… et elle le lui rend bien ! Le sarkozysme demeure sans doute un point culminant de cette détestation réciproque. Et pour cause : le Président, élu par 68 % des plus de 70 ans, a fait de la peur du jeune (de tout âge) son principal fonds de commerce électoral. En 2008, Frédéric Lefebvre, porte-parole de l’UMP, propose de détecter chez les enfants de 3 ans les signes avant-coureurs de la délinquance. La même année, sur le plateau d’« À vous de juger », Rachida Dati, garde des Sceaux, fait monter l’angoisse : « Les mineurs délinquants, Arlette Chabot, c’est des violeurs, des gens qui commettent des enlèvements, des trafics de produits stupéfiants, qui brûlent des bus dans lesquels il y a des personnes. »

En 2009, le portrait dessiné en creux par Nadine Morano du « jeune musulman » (sic) est lui aussi édifiant : glandeur, peu patriote, inculte et impoli. « [Moi, ce que je veux, c’est] qu’il aime son pays, c’est qu’il trouve un travail, c’est qu’il ne parle pas le verlan, qu’il ne mette pas sa casquette à l’envers » , dit-elle lors d’un débat sur l’identité nationale. La formule déclenchera l’ire des organisations antiracistes, mais aussi du porte-parole du PS, Benoît Hamon, qui souligne alors « le regard caricatural de plusieurs membres du gouvernement sur la jeunesse de ce pays » .

Économies sur les services publics ou désengagement de l’État ? Les institutions en charge de la jeunesse se voient couper les vivres. L’Éducation nationale déplore 66 400 suppressions de postes depuis 2007. Le secteur de la petite enfance est sommé de tasser les bébés dans les crèches (Politis, 17 mars 2011). L’ Aide sociale à l’enfance (ASE) est contrainte par les budgets de plus en plus serrés des conseils généraux. La Protection maternelle et infantile (PMI) ne peut plus faire face à ses missions (Politis, 24 novembre 2011). La Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) est bien mal en point. Le 8 décembre, ses stagiaires étaient en grève pour réclamer le maintien d’une formation de qualité (Bac + 4 et travail de recherche) permettant d’assumer les responsabilités du métier d’éducateur. Ce qui est loin d’être gagné, comme pour les enseignants.

Mais, comme souvent, la palme revient au président de la République. Celui qui, de la place Beauvau, voulait « passer au Kärcher » la « racaille » dans les quartiers populaires consacre à la jeunesse cinq bonnes minutes (sur vingt-trois) de son fameux discours de Grenoble sur l’insécurité en 2010. Un condensé de clichés et d’amalgames qui prend place entre un laïus sur l’immigration et un topo sur le grand banditisme, et qui aborde, sans transition, le délinquant (forcément) « mineur » , les enfants sécheurs et les décrocheurs –  « ces jeunes collégiens […] qu’on se repasse d’établissement en établissement, parce qu’on ne sait plus quoi en faire, et qui empêchent les autres d’étudier et de vivre tranquillement » .
C’est que Nicolas Sarkozy a une vision particulière de l’adolescence. Dans l’émission « Face aux Français » diffusée sur TF1 en février 2011 il fait mine de s’interroger : « Peut-on encore utiliser le terme de tribunal pour enfants pour juger un jeune de 17 ans qui mesure 1,85 m ? Le terme de juge des enfants n’est plus adapté. » Quand on fait la même taille qu’un adulte, on n’a donc plus le droit d’être traité comme un enfant !

Oisive, fauteuse de troubles ou délinquante (avérée ou en puissance), la jeunesse n’a décidément rien d’enviable au pays de Nicolas Sarkozy. Lequel, pris néanmoins d’une soudaine compassion, concédera quand même lors de son discours de Grenoble : « C’est si difficile d’élever des enfants ! »

Publié dans le dossier
Jeunes dangereux ou en danger ?
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