La politique, héroïne de fiction

Présidentielle oblige, les chaînes françaises s’aventurent dans un domaine qui ne leur est pas familier. La recette : pouvoir, passions et trahisons.

Jean-Claude Renard  • 26 janvier 2012 abonné·es

Après un attentat suicide perpétré contre le président de la République française, une élection anticipée est organisée, opposant à un candidat de gauche deux candidats de droite (issus de la majorité présidentielle). Un homme, une femme. D’emblée, s’engage une lutte fratricide entre deux conseillers en communication, se réclamant chacun de l’héritage du président défunt (Bruno Wolkowitch et Grégory Fitoussi). Deux personnalités qui n’exercent pas le pouvoir, mais le façonnent. Tel est le canevas de la série les Hommes de l’ombre , réalisée par Frédéric Tellier, programmée sur France 2 en six volets.

Ou bien cap au Danemark, avec Borgen , d’Adam Price, longue série de 10 fois 58 minutes, sur Arte, livrant la conquête du pouvoir par une femme, et son combat pour s’y maintenir (incarnée par Sidse Babett Knudsen).
La série française concentre le mensonge d’État, un scandale des écoutes, des négociations discrètes, des rivalités amoureuses, un brassage de coups tordus émaillés de détails puisés dans la réalité (celle des duels Giscard-Mitterrand et Mitterrand/Chirac, de « l’homme du passif » à la longueur de la table séparant les deux adversaires au duel final télévisé). Combat de communicants, documenté, le film effleure le programme politique pour favoriser le romanesque.

Borgen , signifiant « le château » en danois, se veut plus frontal dans le récit d’une accession au pouvoir, évoquant les questions de parité, des préoccupations économiques et l’intervention militaire en Afghanistan, dans un récit qui met aussi en scène un spin doctor, soulevant la question des collusions, de l’influence des médias dans la politique.

La fiction politique n’est pas nouvelle à la télévision. Aux États-Unis, la série À la Maison Blanche , diffusée sur NBC, a rempli l’écran de 1999 à 2006. En France, à côté de réussites au cinéma, comme Pater ou l’Exercice de l’État , elle occupait jusque-là le terrain de la chaîne cryptée, avec des fictions sur l’affaire Ben Barka ou le SAC.

Au printemps, Canal + diffusera également Yann Piat, chronique d’un assassinat et l’Affaire Gordji, histoire d’une cohabitation . Deux sujets pour le moins sensibles, l’un dans les eaux troubles du FN, des affairistes et du milieu, en 1994, l’autre dans les eaux non moins troubles de la première cohabitation et des attentats de 1986. Deux sujets qui remontent loin dans le temps.

Aujourd’hui, ce sont France 2 et Arte qui s’emparent de la fiction politique. Avec un hasard de programmation (ou pas) qui correspond à une année présidentielle interpellant le téléspectateur. Quels sont les ingrédients utilisés et pourquoi si peu de fictions politiques sur le petit écran ? Minoré longtemps, le genre se prête volontiers aux bonnes recettes : du suspens, des trahisons, des luttes pour le pouvoir, des passions exacerbées. « Borgen est une série aussi trépidante qu’une fiction policière. Mais, surtout, elle nous renvoie à des problématiques européennes. Les mœurs politiques danoises ne sont pas tant éloignées des nôtres, avec notamment des gouvernements de coalition », juge Marie-Catherine Marchetti, responsable des acquisitions au pôle fiction d’Arte.

Si les deux séries politiques revêtent des allures de thriller, à l’évidence, la télé française hésite à mettre directement en scène le pouvoir. « Peut-être parce qu’il existe une fracture en France entre la société civile et les politiques, et une collusion plus importante qu’au Danemark entre les journalistes et les politiques , poursuit Marie-Catherine Marchetti. C’est sans doute la raison pour laquelle la télévision française reste timide sur le genre. »

Pour Carole Le Berre, à l’unité fiction de France 2, « il n’y a pas de sujets tabous. Tout peut être traité. Il a seulement fallu attendre un bon récit, qui soit à la fois contemporain, politique et romanesque pour intéresser le public. »

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