Le marché ou la guerre

Sébastien Fontenelle  • 5 janvier 2012 abonné·es

Dans son premier éditorial de la nouvelle année, le patron du Monde (que plusieurs personnes continueraient me dit-on de regarder comme un journal de référence), manifestement désireux de proclamer que jamais l’éditocratie ne se détournera de sa mission de conditionnement des masses, met en garde « toutes ses lectrices » et « tous ses lecteurs » (avant de leur adresser, tout de même – le gars est urbain –, ses « meilleurs » vœux) contre l’inconséquence qu’il y aurait à voter en avril pour une gauche anticapitaliste.

Pour ce faire, il leur explique d’abord (du ton que tu prends généralement pour narrer aux petits nenfants qu’ils ne doivent pas jouer avec les allumettes) qu’il redoute fort, quant à lui, « que la crise ne conduise à une remise en cause totale du marché » en général, et « du marché mondial en particulier »  (1).
Bien entendu, il ne dit nullement, et pour cause, ce qu’une remise en cause totale du marché aurait de si catastrophique : il se contente, en chevronné servant médiatique de la messe libérale, de psalmodier (comme font toujours les curés dans leurs liturgies) que le marché (nonobstant qu’il n’en finit plus de précipiter l’humanité dans de (très) noirâtres mélasses) sera le genre humain.
Fort de ce préalable – où il n’a donc rien démontré –, le patron du Monde relève ensuite qu’ « un peu partout, la demande en faveur de mesures protectionnistes progresse et se fait, de plus en plus, entendre » .

Et ça, vu depuis lui : c’est hyper inquiétant, parce qu’ «après le krach boursier de 1929, ce qui a précipité le monde dans la dépression, la vraie, avec un effondrement de la production et une explosion du chômage autrement plus violents » que la petite crisette de rien du tout que nous endurons ces jours-ci, que fut-ce ? (Je te prie ?)
Ce fut-ce, précisément, le protectionnisme ourdi alors par les Yankees (« suivis par d’autres pays » qui n’avaient hélas pas la chance de pouvoir compter sur un patron du Monde pour les détourner de leurs désolants errements).

Pour si t’aurais pas compris, je te le refais, en moins compliqué : le patron du Monde te raconte là, par des voies (à peine) détournées, que si tu fais dans quatre mois le choix de voter, à l’élection présidentielle, pour des gauchistes qui pousseraient leur outrecuidance jusqu’à remettre totalement en cause le marché (mondialisé) – au fallacieux prétexte qu’il sème partout la désolation et la misère ?

Et que si tu donnes ta voix à ces gens que le Monde appelle traditionnellement les « adeptes du repli » (plutôt qu’à de sympathiques « partisans de l’ouverture » à l’Autre, type Hollande ou Sarko) ?
Tu prends le très sérieux risque de nous précipiter dans une crise-de-1929, avec les tragiques suites guerrières y afférentes – et je ne t’en félicite pas, mais bonne année quand même.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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