L’art d’exister

Du jazz et des femmes. Rien que ça, mais qui suffit à nourrir la fable politique de Josef Škvorecký.

Anaïs Heluin  • 23 février 2012 abonné·es

Sorte d’alter ego de son auteur, Josef Škvorecký, le jeune Danny Smĭrický traverse, de roman en roman[^2], les aléas de l’histoire tchèque du XXe siècle. Tantôt aussi gai luron que n’importe quel lycéen de son âge, tantôt soucieux du contexte politique ambiant, le petit héros incarne l’âme des gens de son pays.

Dans Une chouette saison, écrit en 1975 et publié en France, alors que l’auteur disparaissait début janvier, c’est sous l’occupation allemande que Danny vit ses aventures. Sentimentales autant que musicales, ces dernières donnent à la Tchécoslovaquie des années 1939 à 1948 un visage nuancé. Riche en joies du quotidien, et teinté d’une sourde affliction. C’est le visage de l’existence, en somme, que Joseph Škvorecký dépeint avec une tendre malice.

Stratégies d’approche, maladresses, réussites mitigées : narrés avec une grande précision, les premiers pas amoureux de Danny font oublier la brutalité de la présence allemande. Presque saturé d’intrigues romanesques, le récit a l’allure d’une énumération, ou plutôt d’une variation sur le même thème, comme dans le jazz. Car, en plus d’être un frénétique ­coureur de jupons, le protagoniste est un adorateur de cette musique aux accents de liberté. Subtil, le comique de répétition qui parcourt le texte est sous-tendu par cette quête d’affranchissement de tout code, de toute autorité.

Irena, Marie, Kristina, Karla-Marie… Toutes charmantes aux yeux de Danny, ces jeunes femmes donnent lieu à autant d’épisodes alambiqués, toujours structurés de la même façon. Pourtant, des indices épars mettent sur la piste d’une complexité cachée. Intégrées au fil narratif, de brèves phrases aux apparences anodines esquissent le tableau de la sombre Tchécoslovaquie des années 1939 à 1948. Une lecture psychanalytique s’impose peu à peu, qui fait de la séduction une échappatoire, un rempart contre la violence nazie.

À chaque population son « homme qui aimait les femmes » . Naïf, amoureux de l’amour bien plus que des personnes convoitées, celui de Josef Škvorecký représente l’espoir en un avenir meilleur.

Un bien vain optimisme : à l’occupation a succédé un régime totalitaire, celui que l’auteur a fui en s’installant au Canada et qu’il n’a jamais cessé de critiquer.

Moins directement que dans certaines de ses œuvres, comme les Lâches, c’est ce qu’il fait aussi à travers ce roman d’initiation ­sensible et plein d’humour. Comme quoi la politique peut passer par un sourire d’enfant, par un mot touchant.

[^2]: Dans Deux meurtres dans ma double vie (Rocher, 1999) ou les Lâches (Gallimard, 2001).

Littérature
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