L’austérité gravée dans l’avenir

Deux nouveaux traités européens visent à inscrire la « règle d’or » budgétaire dans les constitutions des pays membres. Sans consultation démocratique.

Michel Soudais  • 1 mars 2012 abonné·es

Le calendrier européen était particulièrement chargé cette semaine. Après l’Assemblée nationale le 21 février, le Sénat devait ratifier mardi le traité instituant le Mécanisme européen de stabilité (MES) ; les socialistes ayant décidé de s’abstenir, la ratification de ce texte était acquise.

Mercredi, les syndicats de toute l’Union européenne (UE), réunis au sein de la Confédération européenne des syndicats (CES), se mobilisaient contre « la pression à la baisse sur les salaires, le démantèlement de la protection sociale, la flexibilisation du marché du travail, la privatisation des services publics, la diminution du montant des pensions, l’exclusion sociale, la remise en cause des négociations collectives et du dialogue social, une répartition injuste des efforts » .

Avec cette mobilisation européenne inédite, la CES manifestait son opposition au Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’union économique et monétaire (TSCG), traité international que les chefs d’État et de gouvernement de l’UE doivent signer jeudi 1er mars à Bruxelles, qui « grave dans le marbre la discipline budgétaire » et « risque d’enfoncer durablement l’Europe dans la crise » , accuse la CES.

Le TSCG entend imposer à tous les pays de la zone euro (au moins) des politiques budgétaires très restrictives, par la contrainte si besoin est. Son principe a été décidé lors du sommet européen de juillet afin de rassurer les marchés sur la détermination des pays de l’eurozone à réduire leur endettement. Négocié en à peine un mois et demi dans la plus complète opacité intergouvernementale, il a été approuvé lors du Conseil du 30 janvier. Sa signature n’est donc plus qu’une formalité. La dernière étape avant une ratification dans chacun des États membres pour une entrée en vigueur le 1er janvier 2013.

En droit, contrairement à ses prédécesseurs, ce traité n’est pas juridiquement un traité européen puisque deux États, le Royaume-Uni et la République tchèque, ont refusé d’en être signataires. De cet inconvénient, ses concepteurs ont tiré avantage : alors qu’un traité européen doit nécessairement être ratifié par tous les États membres pour être applicable, un traité international peut entrer en vigueur dès lors qu’un certain nombre d’États précisé dans le texte l’ont ratifié.

Dans le cas du TSCG, il suffira donc que 12 des 17 pays dont la monnaie est l’euro le ratifient pour que ses dispositions s’appliquent (art. 14.2). Cette disposition est une garantie de pression sur d’éventuels pays récalcitrants. Elle s’ajoute aux considérants du traité MES qui font obligation aux États d’avoir ratifié et mis en application le TSCG s’ils veulent bénéficier d’une aide financière du MES, quand bien même auraient-ils décaissé des milliards d’euros pour participer au capital de cette institution financière européenne.

Même si en droit le TSCG est donc un traité international, il est ouvert à l’adhésion des pays membres de l’UE uniquement, et utilisera pour son application les organismes créés par les traités européens (Commission européenne, Cour de justice européenne…). Si aucun article ne précise son mode de révision, le seizième et dernier article stipule que, cinq ans après l’entrée en vigueur du TSCG, « les étapes nécessaires seront effectuées […] à la fin d’incorporer la substance de ce traité dans le cadre légal de l’UE » . La qualification du texte en traité international est donc bel et bien une ruse juridique destinée à contourner les obstacles démocratiques et les réticences de quelques pays, et de les faire tomber dans un délai donné.

Sur le fond, le TSCG durcit dogmatiquement le pacte de stabilité par l’instauration de la fameuse « règle d’or ». « La position budgétaire des administrations publiques [d’un pays] sera équilibrée ou en excédent » , stipule l’article 3.1, qui fixe à 0,5 % du PIB le « déficit structurel » toléré. Dans le cas de la France, dont le déficit structurel était de 3,9 % en juin dernier, cela demanderait de couper 74 milliards dans les dépenses, soit 14 milliards de plus que le budget de l’Éducation nationale.

Il est à noter que cette « règle d’or » devra prendre « effet dans le droit national » des pays contractants « par des dispositions de force contraignante et de caractère permanent, de préférence constitutionnel » (art. 3.2). Le manquement à cette obligation peut être porté devant la Cour de justice de l’UE, par la Commission européenne, ou par tout autre État membre. L’État fautif s’expose à devoir payer une amende qui peut atteindre 0,1 % de son PIB.

Le rôle de la Commission européenne dans la surveillance des budgets nationaux est considérablement renforcé puisque c’est elle qui détermine le déficit structurel autorisé, établit le plan de désendettement des États dont la dette dépasse 60 % du PIB – réduction d’au moins 1/20e par an, dresse les constats d’infraction et les pénalités qu’elles entraînent. Dans ce cas, les États contractant au TSCG « s’engagent à soutenir les propositions ou les recommandations » de cette instance non-élue. Ils ne peuvent s’y opposer qu’à la condition de réunir sur cette opposition une hypothétique majorité qualifiée.

L’absurdité de la règle et l’automaticité des sanctions concentrent la majeure partie des critiques adressées à ce traité. Alors que la consommation des ménages stagne ou régresse, que les investissements des entreprises sont au plus bas, se priver de l’arme budgétaire ne peut qu’accroître les difficultés économiques, mettent en garde de nombreux économistes. Si la règle du quasi-équilibre budgétaire devait être respectée, prévient également Pierre Khalfa, coprésident de la Fondation Copernic, « elle entraînerait l’impossibilité, de fait, d’investir pour l’avenir, alors même que la nécessité d’amorcer la transition écologique va demander des investissements massifs » . Afin de rester dans les clous, les États n’auraient d’autre choix pour leurs investissements structurants que de recourir à des partenariats public-privé. Une solution très désavantageuse à long terme pour la puissance publique, mais extrêmement lucrative pour les grands groupes privés.

Le traité, estime Bernard Thibault, a « pour vocation d’encadrer, de fait, toute capacité de négociation des syndicats dans chacun des pays » . « En effet, expliquait le leader cégétiste dans un entretien à l’Humanité (27 février), si un rapport de force favorable conduisait un pays à pouvoir avancer dans le domaine social, ce texte conférerait à l’Europe le droit d’autoriser, ou non, cette avancée au regard de sa situation financière. » C’est au final la Cour de justice de l’UE, organisme non élu, qui serait la référence suprême pour juger de la pertinence d’un budget national. D’un point de vue démocratique, c’est pour le moins problématique.

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