Un dossier vide qui n’en finit pas

Trois ans après le sabotage des lignes de TGV, l’instruction de l’affaire se poursuit jusqu’à l’absurde. Une « erreur d’État» qui ne veut pas s’avouer…

Claude-Marie Vadrot  • 15 mars 2012 abonné·es

Il suffit d’avoir croisé Julien Coupat pour se retrouver un jour en garde à vue, interrogé par la police ou discrètement persécuté. Idem pour l’un des neuf autres de « l’affaire Tarnac » mis en examen pour « association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte terroriste » , ou même l’un de leurs amis ou connaissances.

Malheur à ceux qui ont déjà téléphoné à un membre de la « Cellule invisible » inventée par Michèle Alliot-Marie en 2008, alors qu’elle était ministre de l’Intérieur. Leur vie privée, leurs conversations, leurs habitudes, leurs fréquentations, leurs familles seront passées au crible. D’avoir déjeuné un jour avec Julien, Yldune, Gabrielle, Manon, Benjamin, Mathieu, Bertrand, Elsa ou Aria fait accéder au rang de suspect potentiel qui intègre illico les dossiers du juge chargé de l’instruction de cette affaire, Thierry Fragnoli.

« Cela devient grotesque , explique Jérémie Assous, l’un des avocats du groupe, le magistrat instructeur et les policiers élaborent depuis des mois des scénarios et des constructions intellectuelles plus stupides les unes que les autres. Si, par hasard, l’un des dix de Tarnac connaît quelqu’un qui possède une boîte à outils, cette personne finira par être gardée à vue ou suivie. L’objectif n’est pas de trouver des coupables ou des témoins, mais uniquement de justifier la non-clôture de ce dossier absurde. Cela permet de faire des signes à l’opinion publique, de l’agitation pour nourrir un dossier toujours aussi vide. » Et qui ne se remplit que par accumulation d’auditions, d’écoutes, de filatures infructueuses et d’interpellations.

Le 23 février, un homme de 28 ans a été placé en garde à vue. Motif : il a été le colocataire de l’un des mis en examen il y a trois ans. Trente officiers de police de la sous-direction de la lutte ­antiterroriste l’ont interpellé puis conduit manu militari dans leurs locaux de Levallois pour l’interroger pendant ­plusieurs heures. Le lendemain, d’autres officiers ont mené une longue perquisition dans l’atelier de son père. Celui-ci étant ferronnier d’art, son entreprise aurait pu être utilisée pour façonner les fameux crochets métalliques qui ont été lancés par des inconnus sur les caténaires du TGV dégradées en 2008. Acte qui est à l’origine des accusations de terrorisme qui planent depuis trois ans sur les jeunes de Tarnac.

Interrogatoire et perquisition n’ayant rien donné, les policiers ont relâché le jeune homme au bout de 24 heures. « Cette nouvelle action s’est traduite par un nouveau fiasco, souligne Me Assous. Une irrégularité de plus dans une affaire qui en compte déjà des dizaines… Le problème, c’est que ni la police ni le magistrat instructeur ne veulent reconnaître leur erreur. Tout le monde s’est trompé dans cette affaire, mais les bêtises continuent au-delà du raisonnable et de la légalité. » Seule solution, selon lui : un non-lieu, l’abandon définitif des poursuites. Mais difficile de revenir sur une «  erreur d’État ». « Surtout quand elle a été commise par une ministre obsédée par le terrorisme, et aggravée par une guerre des polices… »

Aujourd’hui, la plupart des mis en examen sont retournés vivre à Tarnac, alors qu’ils n’ont théoriquement, seule restriction à leur vie de citoyens, plus le droit de se rencontrer. Julien Coupat, désigné comme « chef de la bande », a fini par récupérer son passeport.

Police / Justice
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