Vaudeville vaudou

Une pièce baroque du Franco-Haïtien Jean-René Lemoine.

Gilles Costaz  • 29 mars 2012 abonné·es

Qui est cette Erzuli Dahomey, divinité invisible et omniprésente dans la pièce du Franco-Haïtien Jean-René Lemoine ? Elle a les honneurs du titre, Erzuli Dahomey, déesse de l’amour , et se glisse entre les diverses civilisations puisque, selon l’auteur, elle est haïtienne mais d’origine africaine, sortant de l’ombre pour troubler une action qui se passe d’abord dans un coin reculé de la France.

La tragicomédie de Lemoine est difficile à conter puisqu’elle jongle avec le rituel du vaudou tout en reprenant les codes du vaudeville. Le poète veut opposer, dans son histoire, dans la répartition de ses personnages et jusque dans la forme théâtrale, les cultures antagonistes – ce qu’on appelle superficiellement le Nord et le Sud – qui ont fait le monde où nous sommes et qui le divisent en deux, lui, l’écrivain.

Dans ce village provincial, une femme d’une cinquantaine d’années s’est retirée sans avoir réalisé son rêve d’être une actrice glorieuse. Elle est servie par une Antillaise qui identifie Lady Di à la déesse Erzuli. Elle loge un prêtre qui n’est pas tout à fait le parangon de vertu qu’il paraît être. Elle a deux jumeaux, une fille et un garçon, soumis à la pression des désirs tourbillonnant dans la maison. Elle est surtout taraudée par la mort de son fils aîné, enterré dans le cimetière voisin. Or, voilà qu’une femme surgit du Sénégal et vient réclamer le corps de son fils, qui serait inhumé dans la tombe de cette famille blanche. Qui est dans le tombeau ? La pièce se transporte en Afrique pour résoudre cette énigme posée par deux morts et un fantôme…

On n’attendait pas la Comédie-Française sur ce terrain-là. Elle trouve ici une écriture baroque qui inspire avec bonheur la jeune génération de ses comédiens : Serge Bagdassarian, Nâzim Boudjenah (nu et entièrement peint en noir ! ), Pierre Niney, Françoise Gillard. Claude Mathieu, merveilleusement explosive, et Bakary Sangaré, allégrement travesti en vieille femme africaine, apportent la contribution des générations aguerries. Engagée juste pour ce spectacle, Nicole Dogué incarne avec force la Noire victime de l’oppression des Blancs.

Dans une brillante scénographie de Jacques Gabel qui multiplie les trappes et les apparitions, la parfaite mise en scène d’Éric Génovèse ne quitte jamais le point d’équilibre entre une folle drôlerie et le cri secret de tant de folies.

Théâtre
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