Paris-8 : enseignement vraiment supérieur

Un passionnant travail sociologique sur l’université de Vincennes et ses apports.

Claude-Marie Vadrot  • 5 avril 2012 abonné·es

Quarante-deux ans après sa création, alors qu’elle est la seule à résister à la loi sur l’autonomie (en trompe-l’œil) des universités [^2], Paris-8 fait l’objet d’un passionnant travail d’histoire critique et sociologique sur les conditions de sa création à l’automne 1968 et de ses premières années de fonctionnement dans le bois de Vincennes – d’où elle fut chassée en 1980 par Jacques Chirac, alors maire de Paris.

L’étude veut aller, selon son auteur, Charles Soulié [^3], « au-delà des mythes et des légendes » et précise que « l’originalité de Vincennes est l’expression d’une rupture avec l’Université protégée, héritée de la IIIe République ». Ce qui explique sans doute que Paris-8 soit « l’une des rares universités françaises à avoir une identité collective forte ».

Cette histoire est fort opportunément précédée d’une étude critique et statistique de l’état de l’enseignement supérieur et secondaire avant 1968. Incitation à mieux apprécier la rupture que représente la mise en place du « Centre universitaire expérimental de Vincennes », sa réalité et ses limites. En effet, si, à cette époque, « les professeurs de la Sorbonne contrôlent les principales instances du pouvoir académique », c’est néanmoins cette même Sorbonne qui fournit le plus fort contingent des enseignants de la nouvelle université – qui deviendra rapidement « le lieu officiel du renouvellement des pratiques pédagogiques dans l’enseignement supérieur ».

Au moment de nous guider dans l’histoire échevelée de la création et des premières années, l’auteur rappelle que « personne n’avait jamais créé une université en trois mois [^4] ». Dans la saga de son invention, dans la constitution des premiers départements et dans les premières années parfois délirantes mais toujours créatrices, défilent tous les noms connus ou (alors) inconnus de la gauche universitaire et progressiste, voire maoïste. Une liste interminable qui défie évidemment l’exhaustivité : de Michel Foucault à Gilles Deleuze en passant par Michel Debeauvais, Yves Lacoste, Hélène Cixous, François Châtelet, Michel Beaud, Denis Guedj, Alain Badiou, Robert Castel et même Michel Serres, qui ne tiendra qu’un an face à la contestation permanente des savoirs qui fut la règle des premières années. Il ne sera pas le seul…

Le livre met longuement l’accent sur les étudiants salariés et non bacheliers qui « seront la légende et la fierté de cette université, comme ce chauffeur-livreur qui profite de l’un de ses arrêts pour s’inscrire en histoire, y suivre un cursus et décrocher l’agrégation ». Dans ce chapitre comme dans tous les autres, des graphiques et des statistiques permettent de mesurer les différences et les innovations. Notamment pour l’apport des étrangers – qui représentent aujourd’hui encore un bon tiers des étudiants inscrits. Ce qui explique que Paris-8 ait choisi de se nommer désormais « Université Monde »

[^2]: Cf. le texte de son président, Pascal Binczak, Politis n° 1195.

[^3]: Maître de conférences en sociologie à Paris-8.

[^4]: Cf. « Histoire vraie de Vincennes », n° 1000 de Politis (30 avril 2008).

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

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