À contre-courant / JPMorgan : à petits pas vers la réglementation ?

Gérard Duménil  • 31 mai 2012 abonné·es

La première banque des États-Unis, JPMorgan, vient de déclarer une perte de 2 milliards de dollars, sans doute appelée à doubler. Le chiffre est gros, mais la perte n’est pas abyssale. Les analystes estiment que, malgré cette perte, les bénéfices de JPMorgan au second trimestre 2012 atteindront 4 milliards de dollars.

Comment faire pour perdre brutalement de telles sommes ? Il s’agit évidemment d’opérations sur les marchés dits « dérivés ». Le trader « prend des positions », c’est-à-dire s’engage à vendre ou à acheter dans certains délais des titres à certains prix, ou à couvrir d’éventuelles pertes, moyennant de copieuses rémunérations. Cela s’appelle « vendre de la protection », ce qui semble très rassurant. Mais les institutions financières s’achètent et se revendent ces protections sur la base de prévisions. « Spéculer », étymologiquement, c’est observer, voire espionner. Le meilleur « voit venir » avant les autres, et c’est ainsi que le trader Bruno Iksil n’a pas anticipé une hausse d’un quart de pour cent sur un taux d’intérêt, et fait perdre beaucoup d’argent à la banque. À cela, semblent s’ajouter des opérations irrégulières.

Dans d’autres circonstances, il s’agirait d’un fait divers. Les dividendes des actionnaires vont-ils être réduits ? Les 23 millions de dollars de rémunération du PDG, Jamie Dimon, seront-ils diminués ? Le problème est que cet incident fait écho à la grande explosion financière de la fin 2008, dans le contexte général de la poursuite d’une crise structurelle des pays des vieux centres, États-Unis et Europe, qui entre dans sa cinquième année, ce qui lui donne une résonance particulière.

Très vite, dans la foulée de l’élection de Barack Obama, était apparue la nécessité de réglementer les pratiques financières. La loi Dodd-Frank fut votée en juillet 2010. Il s’agit d’une sorte de loi-cadre restant à compléter, dont l’objectif était de « promouvoir la stabilité financière ». Depuis que la loi a été votée, les républicains en bloquent l’application, refusant le vote des crédits nécessaires à l’établissement des nouvelles agences. C’est donc à très petits pas que les avancées vers le traitement de la crise actuelle sont « envisagées », en attendant d’être réalisées. À ce rythme, on peut se demander combien de nouvelles affaires JPMorgan il faudra encore pour qu’un dispositif de réglementation des activités financières soit effectivement mis en place. Quand surgiront les vrais politiques de reterritorialisation de la production ? Combien d’années seront nécessaires pour que les fondements du néolibéralisme, notamment de la mondialisation néolibérale, soient enfin ébranlés ?

On retrouve dans cette loi le discours usuel concernant la « transparence », mais certaines mesures sont assez ambitieuses. La création de nouvelles agences de surveillance (des institutions paraétatiques) en définit un premier aspect. La loi contient aussi un dispositif, connu comme la « règle Volcker » [^2], qui tend à restreindre les activités des banques de dépôt sur les marchés dérivés. C’est précisément ce débat qui resurgit avec l’affaire JPMorgan et illustre la nécessité d’une telle règle.

[^2]: Paul Volcker, président de la Réserve fédérale de 1979 à 1987.

Économie
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