À contre-courant / Pour mieux sauter ?

Thomas Coutrot  • 21 juin 2012 abonné·es

Les Grecs n’ont pas franchi l’obstacle. Face à la pression internationale – réaffirmée par François Hollande sur une chaîne de télévision grecque à trois jours de l’élection – selon laquelle la Grèce devait « respecter ses engagements » ou sortir de l’euro, nombre d’électeurs ont reculé, jugeant trop hasardeux l’affrontement avec l’Union européenne. Il est pourtant fort difficile d’imaginer comment la Grèce pourrait se sortir de l’actuelle catastrophe par un simple « aménagement du calendrier » du mémorandum, ce plan détaillé de démantèlement de l’État social en Grèce, imposé par la troïka – Banque centrale européenne (BCE), Fonds monétaire international (FMI), Commission européenne.

Ce qui est imposé aujourd’hui en Grèce, mais aussi en Espagne, au Portugal et bientôt ailleurs, c’est une « dévaluation interne », prônée depuis 2010 par l’économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard. Ces pays ont perdu leur compétitivité face à l’Allemagne (et la Chine), à cause d’une inflation plus élevée (d’environ 20 points depuis dix ans). Autrefois, ils auraient dévalué leur monnaie nationale de 20 à 30 % : cela aurait stimulé les exportations et rendu plus chères les importations. Les salaires réels auraient baissé du fait de l’inflation importée, mais l’économie aurait retrouvé un peu d’air. Avec l’euro, ce n’est plus possible. D’autant moins que la BCE refuse de faire baisser la monnaie européenne par rapport au dollar. Donc, pour rétablir la compétitivité, il faudrait réduire les prix intérieurs de 20 à 30 %, et donc les salaires et les coûts sociaux…

Malheureusement, l’ajustement par la « dévaluation interne » est une lubie désastreuse. Elle fait exploser les inégalités de revenus – l’une des causes initiales de la crise. Elle enfonce surtout les pays dans un puits sans fond. On le sait depuis les expériences de déflation des années 1920-1930 : quand s’enclenche une baisse généralisée des prix et des salaires, l’investissement s’écroule lui aussi. Pourquoi investir aujourd’hui si demain les projets coûtent moins cher ? Mieux vaut attendre en plaçant son argent en lieu sûr. D’où l’impressionnante fuite des capitaux qui touche la Grèce (280 milliards d’euros partis vers la Suisse en dix-huit mois) mais aussi les autres pays d’Europe du Sud. Les banques suisses et allemandes accueillent ces nouveaux clients à bras ouverts, mais ce n’est pour elles une bonne affaire qu’à court terme. C’est l’ensemble du système bancaire européen, étroitement interdépendant, qui est menacé par la crise bancaire maintenant manifeste au sud de l’Europe.

Le « Pacte pour la croissance » proposé par François Hollande pourra-t-il éviter à l’Europe des révisions déchirantes ? C’est manifestement impossible tant les mesures prônées – dont il n’est même pas sûr qu’Angela Merkel les accepte – sont loin des enjeux : des investissements pour 120 milliards d’euros, dont la moitié sont en réalité des fonds structurels déjà votés et programmés. Restent 65 milliards, soit 0,7 % du PIB de la zone euro, qui ne seront d’ailleurs dépensés que progressivement sur plusieurs années. La Grèce et l’Europe ne font donc que reculer pour mieux sauter.

Monde Économie
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