Essai de la semaine : La « démocratie Potemkine » de Vladimir Poutine

Une journaliste russe retrace le parcours de « l’homme fort » qui a confisqué tous les pouvoirs.

Claude-Marie Vadrot  • 19 juillet 2012 abonné·es

Officiellement, surtout du point de vue des gouvernements occidentaux qui ont besoin de son gaz et de son pétrole, Vladimir Vladimirovitch Poutine, né le 7 octobre 1952 à Leningrad, n’est pas un dictateur. Juste « l’homme fort » dont les Russes auraient rêvé depuis la disparition de l’URSS, le 26 décembre 1991.

Le livre de la journaliste russe Tania ** Rakhmanova montre avec quel talent et quel machiavélisme cet obscur membre du KGB a écarté l’ivrogne fantasque Boris Eltsine au début de l’année 2000, puis, ayant dirigé les services secrets russes de 1998 jusqu’à son arrivée à la tête du gouvernement, a pris le contrôle du plus vaste pays du monde, entouré d’anciens hiérarques du KGB installés à tous les niveaux du pouvoir. Il a construit ce que l’auteure appelle « un Village Potemkine [^2] de la démocratie. Le goût, l’aspect, la couleur de la démocratie, mais une simple façade ».

Le récit rappelle que, six mois avant sa première élection triomphale au début de l’année 2000, le personnage jouissait de seulement 4 % d’opinions favorables dans la population. Le miracle de son ascension si rapide s’appuie notamment sur de mystérieux attentats ayant entraîné des centaines de morts à Moscou, avant que ne soit déclenchée la seconde guerre de Tchétchénie, les Tchétchènes ayant été accusés d’en être les auteurs… Ceux-ci, en réalité, n’ont jamais été identifiés. De lourds soupçons pèsent sur les services spéciaux, auxquels le nouveau tsar demeure intimement lié. D’autres attentats, en 2002 et 2004, n’ont jamais été éclaircis non plus. Après avoir disséqué ces événements étranges, Tania Rakhmanova commente : « Les Russes se cherchaient un père, ils ont trouvé un père fouettard. »

Tout au long de cette étude minutieuse, l’auteure décrit la façon dont le Président, « autoritaire et ferme, nostalgique de l’époque soviétique et assez hostile à l’Occident et à ses valeurs », a conforté son pouvoir. Avec les mêmes méthodes que ses maîtres communistes, avec l’aide de ses anciens collègues et grâce à un contrôle de plus en plus efficace de la presse. Surtout de la télévision, dont il a compris la force de persuasion.

Une histoire des quinze dernières années de la Russie qui se lit comme un polar, avec un méchant au pouvoir presque absolu contre une société asphyxiée ou dévote. Une société qui vient seulement de se réveiller, mais à laquelle le Président a réservé il y a quelques jours une surprise : une nouvelle législation qui réduit la liberté du droit d’association et de manifestation, ce que dénonce la Ligue internationale des droits de l’homme. « Les douze ans de règne de Vladimir Poutine ont tué tout espoir de miracle et même tout espoir tout court  », conclut tristement Tania Rakhmanova.

[^2]: Du nom des villages factices que le ministre d’État Grigori Potemkine aurait fait édifier en 1787 pour la visite de l’impératrice Catherine II en Crimée.

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