Retour sur l’île déserte, bretonne et bio de Quéménès

Claude-Marie Vadrot  • 12 juillet 2012
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Retour sur l’île déserte, bretonne et bio de Quéménès

Depuis cinq ans, David et Soizic Cuizenier ont recolonisé l’île de Quéménès à la pointe du Finistère, au cœur d’une mer d’Iroise souvent agitée, et peuplée de phoques et de dauphins. Les animaux marins les accompagnent fréquemment dans leurs trajets en bateau vers l’île de Molène ou le continent (une demi-heure). Un pari qui paraissait impossible sur cette terre de 35 hectares battue par les vents où seuls deux vieux sureaux, abrités derrière une cabane en pierre, ont résisté au temps. D’autant que, depuis leur arrivée, sont nés Chloé et Jules, qui ont maintenant 3 ans et 3 mois. Mais le couple de trentenaires a résisté à tout.

Illustration - Retour sur l'île déserte, bretonne et bio de Quéménès

Le Conservatoire du littoral a racheté l’île, où ne courraient que quelques lapins, au début des années 2000, pour la préserver des appétits immobiliers. De mémoire d’homme, il a toujours eu de l’agriculture et de l’élevage à Quéménès. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la seule ferme de l’île nourrissait une trentaine de personnes et recevait la visite saisonnière des goémoniers. Le maire de Molène, non loin, où vivent encore 80 habitants, se souvient que ses concitoyens, il y a une quarantaine d’années, allaient y acheter des cochons, des moutons, et même des chevaux. Au moment de l’acquisition par le conservatoire, il fallut refaire les toits des bâtiments puis trouver des candidats à la vie saine de Quéménès, afin de ne pas laisser l’île à l’abandon. Un premier couple ne résista pas plus d’un hiver… En 2007, le couple Cuizenier tente l’aventure. Ils commencent avec une douzaine de moutons et un petit jardin potager. Ils sont toujours là, heureux.

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Leur troupeau ovin compte une centaine de bêtes qui paissent l’herbe entre orties et chardons. S’y ajoute un hectare de pommes de terre, des mona lisa, une variété pas trop hâtive, dont la vente, ajoutée à celle des moutons, alimente le budget du couple, qui doit respecter un certain nombre de règles et de contraintes nécessaires à la protection de la faune, surtout volatile : entretien des murets de pierres ; pas de chien ni de chat (à leur grand regret), car les meilleurs amis de l’homme détruiraient les nids des oiseaux, qui sont tous au sol, sur les plages et les galets ; pour la même raison, il faut éviter aux habitants de Quéménès de fréquenter les bords de mer pendant la période de la nidification.

Une île intégralement bio

Pour sauvegarder la biodiversité végétale et la microfaune, pas question d’utiliser des engrais chimiques et des pesticides. Tout est bio, y compris les soins prodigués au troupeau. Ce qui signifie toilettes sèches, compost… Pour les eaux usées, trois bassins équipés d’un système de phyto-épuration permettent d’éviter de polluer la nappe d’eau douce et la mer. Il existe un puits sur l’île mais sa production, issue d’une petite nappe captive située au-dessus du niveau de la mer, serait vite insuffisante si elle n’était pas complétée par la récupération de la pluie. Économique en énergie, un système de filtration avec papier et charbon actif, complétés par une exposition à des rayons ultraviolets, la rend potable.

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L’électricité provient d’une petite éolienne de 2,5 kW couplée avec 70 m2 de panneaux solaire photovoltaïques (un peu plus de 6 kW). Le tout complété par 2,5 m2 de capteurs solaires pour la fourniture d’eau chaude sanitaire. Toute l’installation, y compris le système de gestion qui permet de stocker une partie de l’électricité dans 48 grandes batteries, a exigé un investissement de 150 000 euros (en comptant l’étude préalable de faisabilité d’EDF). L’acquisition d’une jeep électrique, petite mais puissante, dont les batteries se rechargent la nuit grâce à l’éolienne, leur permet de délaisser leur vieux tracteur, qui ne sert plus qu’au labourage.

Un smic chacun

Pour compléter leurs revenus, Soizic et David se sont lancés dans l’exploitation des algues alimentaires, en accord avec le Conservatoire du littoral, et ils reçoivent des hôtes payants (pas plus de huit personnes, pour éviter le « piétinement » de l’île, et parce qu’au-delà la charge de travail serait trop importante) dans un des petits bâtiments réhabilités. L’éducation des visiteurs à l’économie d’eau et d’énergie, n’est pas toujours facile. Récemment, Soizic a été obligée de couper l’eau à une femme qui en était à sa troisième douche de la journée !

Quand les conditions sont favorables, les téléphones portables fonctionnent et Internet est accessible (pas d’antenne relais sur l’île pour préserver le paysage). Quand les journées d’hiver deviennent interminables et que la solitude leur pèse, Soizic et David se réfugient dans un vieux grenier, seul endroit d’où ils peuvent capter quelques chaînes. Ils ont suivi le Tournoi des six nations de rugby, dont ils sont fans tous les deux. Mais même enroulés dans des couvertures, ils finissent toujours frigorifiés…

Grâce à eux, l’île, fascinante de calme et de beauté, est (re)devenue un havre de paix pour les oiseaux et les phoques gris. Terre légèrement vallonnée qui plonge dans la mer, embruns qui fouettent tous les bâtiments de la ferme les jours de tempête… Cette année, pour la première fois, ils ont pu se verser un Smic chacun, et, surtout, apporter la preuve de la viabilité du projet, alliance durable entre protection d’un site, agriculture et autonomie énergétique.

www.iledequemenes.fr

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Écologie
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