Daniel Humair : le jazz, musique de jeunes

À 74 ans, Daniel Humair n’en finit pas de se renouveler, comme en témoigne Sweet & Sour, son nouvel album en quartet.

Lorraine Soliman  • 20 septembre 2012 abonné·es

C’est avec le franc-parler qu’autorise « la bouteille » – autrement dit une expérience aussi longue que féconde du milieu – et l’humeur joviale de l’homme satisfait que Daniel Humair raconte et se raconte. Satisfait, il peut l’être en effet, même s’il y aura toujours des manques dans l’existence d’un tel perfectionniste. Il n’en demeure pas moins un « palmarès » (le mot n’est pas de lui, il va de soi) déconcertant de rencontres et de créations jazzistiques, depuis sa migration, à 20 ans, de sa Suisse natale vers la capitale du jazz européen qu’est Paris à la fin des années 1950.

Il faudrait plus d’un article pour énumérer tous les grands musiciens que Daniel Humair a accompagnés, citer les projets auxquels il a participé et ceux qu’il a initiés. À titre d’exemples : Don Byas, Lucky Thompson, Bud Powell, Kenny Dorham, Oscar Petitford, Stéphane Grappelli, Chet Baker, Dexter Gordon, Art Farmer, Eric Dolphy, Phil Woods, Jim Hall, Eddy Louiss, Lee Konitz, Michel Portal, Martial Solal, Dave Liebman, Richard Galliano… Deux pages ne suffiraient pas pour décrire la variété des styles abordés. «  J’ai suivi vraiment tout le parcours du jazz, raconte le musicien, et c’est ce qui me permet aujourd’hui de voir venir un peu tous les genres parce que j’ai, disons, le folklore de base.  » Le jazz, une histoire de folklore ? Oui, et un peu plus même : «  Le jazz, le plus moderne ou le plus ancien, c’est la même articulation. Et cette articulation est indispensable. Quand on l’apprend au départ, c’est une chose réglée. C’est un peu comme les Brésiliens qui secouent des maracas : ils font ça depuis leur plus tendre enfance et ça fonctionne. C’est dans les racines, ce n’est pas une histoire de don. Et le jazz, ça n’a rien à voir avec le passeport, la couleur, etc. C’est une histoire de phrasé et de connaissance du folklore.  »

Dans l’usage que Daniel Humair fait du terme « folklore », il n’y a rien de péjoratif, on l’aura compris. C’est au contraire le respect et la considération d’un homme conscient de ce patrimoine – auquel il participe – que l’on entend, assortis d’une infinie tendresse et d’un désir intact de partage et d’invention à partir de ce matériau « de base : le jazz New-Orleans ». Son poste d’« observatoire » – d’enseignant au Conservatoire national supérieur de musique de Paris dans les années 1990 et 2000 – a permis à Daniel Humair de repérer les jeunes pousses prometteuses et « multicartes » du jazz français. Avec quatre d’entre elles (Matthieu Donarier, Christophe Monniot, Manu Codjia, Sébastien Boisseau), il monte en 2002 le quintet Baby Boom, dont émergeront deux superbes albums.

« J’ai besoin, pour avancer, d’avoir cette audace des jeunes musiciens que ma génération n’a plus. On était audacieux dans les années 1960, mais la plupart d’entre nous ou bien ont disparu, ou bien restent convaincus que la “vraie” musique est celle qu’ils jouaient à cette époque-là, ce qui ne m’intéresse pas », explique Daniel Humair quand on l’interroge sur son nouveau quartet. Émile Parisien (saxophones), Vincent Peirani (accordéon), Jérôme Regard (contrebasse) : il aurait l’âge d’être leur grand-père, mais « sur scène il n’y a pas de différence. Il n’y a pas de chef. On décide tous ensemble de ce qu’on va aborder et, s’il y en a un qui n’est pas d’accord, on ne le fait pas ».

Consensus, collectif et spontanéité, ainsi va le jazz selon Humair. Sans oublier ce souci de la musicalité, qui, chez un batteur, ne va pas nécessairement de soi : « La musique, ce n’est pas les Jeux olympiques ! », ironise-t-il. La technique et la vélocité sont indispensables, mais doivent être au service du discours musical. Un postulat que Daniel Humair et ses trois complices déclinent magistralement au long de Sweet & Sour, un opus tout en mélopées où règne « l’obsession de phrasés simples » et d’une communication aussi fluide qu’imprévisible.

Musique
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