Témoignage d’un réfugié syrien : « L’obligation d’intervenir »

Hassan vient de fuir Damas et les combats de plus en plus violents. Il a accepté de témoigner et interpelle la communauté internationale, qui « doit » selon lui intervenir militairement pour stopper les massacres. Rencontre.

Erwan Manac'h  • 3 septembre 2012
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Témoignage d’un réfugié syrien : « L’obligation d’intervenir »
© Photo : AFP, 04/08/2012

Hassan est un jeune père de famille soigné, à l’allure impeccable. [^2] En transit vers la Suède, où des amis l’attendent, il posait, dimanche 2 septembre, sa valise à Paris, le temps d’une soirée. Avec quelques rudiments d’anglais et le soutien de connaissances en Europe, il espère trouver un petit boulot, avant de rejoindre ses 5 enfants et sa femme réfugiés à Amman, en Jordanie.

Son périple commence le 16 août, lorsqu’il fuit la Syrie. Rongé par la peur : « Il y a des morts partout dans les rues du centre-ville, car les corps ne sont pas ramassés, raconte le quadragénaire *. Ils sont abandonnés aux chiens errants. Même certains blessés, laissés à l’agonie, sont attaqués par les bêtes* »

Les combats font rage depuis plus d’un an avec de plus en plus de violence dans le quartier de Midane, au sud de la Ville, où il résidait avec sa famille. Les Moukhabarat, les membres de la police secrète, font régner la terreur au sein de la population [^3]. « Ils rentrent dans les maisons et détruisent tout sur leur passage. Ils sortent dès qu’une manifestation débute. Ils prennent des enfants, vont à l’hôpital pour interpeller les blessés et les tuer.»

Ces dernières semaines, toute activité est devenue impossible. « On manque de pain, de gaz, de fioul. Pour nous informer nous restons branchés sur les chaînes étrangères, car la télévision syrienne ment à longueur de temps. »

Quarante jours avant son départ, sa femme, de nationalité jordanienne, et ses 5 jeunes enfants avaient fui vers Amman. Depuis, Hassan vivait reclus dans son commerce qu’il ne voulait pas abandonner. Il se tenait loin des manifestations, mais la peur devenait trop pressante. Le 16 août, il ferme donc sa papeterie et prend la route jonchée de barrages de l’armée syrienne pour tenter de rejoindre la Jordanie. « L’armée régulière arrête les gens pour contrôler leur identité. Si leur nom correspond à des suspects recherchés, ils les mettent en prison. Au bout de trois mois, ils les tuent. » Il parvient finalement à traverser la frontière jordanienne, grâce à sa bonne situation financière. Pour les réfugiés plus pauvres, l’étape est selon lui beaucoup moins facile.

« Qu’il crève ! » 

Hassan est tendu. Il s’agite sur sa chaise. Fume cigarette sur cigarette et avale beaucoup de café. «  Bachar al Assad ? Qu’il crève !  » , se défoule-t-il. « En Syrie, toutes les familles sont endeuillées. Mon frère est parti au service militaire, cela fait un an que nous n’avons plus de nouvelles. Mon oncle, lui, a été condamné à 1 an et demi de prison pour avoir participé à une manifestation.   »

Peu après son arrivée à Amman, Hassan embarque dans un avion en direction de Milan. Il possède un visa italien de 6 mois, dont il avait fait la demande en mars dernier. Il fait désormais route vers Stockholm (Suède), où il a des connaissances. Selon les rumeurs, le pays est de meilleur accueil pour les étrangers que la France. Là-bas, il tentera de trouver un travail. Le temps de voir comment évolue la situation à Damas.

Village de Taftanaz, au nord-ouest de la Syrie, déserté par une grande partie de ses habitants. - AFP / Hervé Bar / 1er septembre 2012

« L’OTAN a l’obligation d’intervenir, car les massacres continueront tous les jours, alerte-t-il. Bachar al Assad est un animal, il restera au pouvoir jusqu’à ce que tous ses opposants soient tués. Mais les manifestants ne lâcheront pas. Même lorsqu’ils se font tirer dessus, ils continuent d’avancer *. C’est un combat pour la liberté. Nous ne voulons plus vivre dans la peur. Les Alaouites contrôlent toutes les richesses, ils possèdent les armes et terrorisent la population. »* Pour autant, Hassan ne craint pas que le conflit dégénère en revanche ethnique contre les Alaouites : « Ce n’est pas dans l’esprit des gens. Nous vivons ensemble depuis 6 000 ans à Damas. Nous n’avons aucun problème de cohabitation.   »

Lorsqu’il reprend son calme et s’égare dans ses pensées, Hassan empoigne son téléphone portable et passe en revue les photos de ses enfants. Le sourire grave, il s’arrête sur un cliché d’une de ses 4 filles. Il inspire longuement et libère un bruyant soupire. « Pourquoi la France n’accueille-t-elle pas les Syriens ? Ils disent que c’est à cause de la crise, mais dans cette situation ce n’est plus une question d’argent. C’est une question d’humanité   ! »

_Traduction Jules Arsenne

[^2]: Le prénom a été modifié

[^3]: Lire à ce propos le rapport d’Amnesty international d’octobre 2011

Monde
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