Au fait, c’est quoi un paradis fiscal ?

Entre la fraude avérée et l’optimisation légale, la définition varie en fonction d’intérêts économiques et politiques.

Pauline Graulle  • 11 octobre 2012
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La Belgique, où a filé Bernard Arnault parce qu’on n’y taxe pas les plus-values sur le capital, peut-elle être considérée comme un « paradis fiscal » au même titre que les îles Vierges britanniques, 830 000 sociétés pour… 24 491 habitants ? Quelle valeur donner au maquis des classements établis par les organisations internationales ? Doit-on considérer que, sur le grand marché fiscal offert par la mondialisation, un pays est toujours le « paradis » d’un autre ? « C’est l’éternel sujet de discussion », indique Jean Merckaert, ancien coordinateur de la plateforme « Paradis fiscaux et judiciaires » ^2 et rédacteur en chef de la revue Projet. Un sujet pour le moins épineux : définir un mot, c’est aussi délimiter un problème et pointer des responsables. Or, quand on sait que les paradis fiscaux charrient tout à la fois histoires de gros sous et questions géopolitiques, on comprend aisément qu’imposer une définition relève, selon le magistrat Éric Alt [^3], du « bras de fer politique ». La définition de ce qu’est ou non un paradis fiscal varie donc grandement en fonction des intérêts du « définisseur ». Il y a ceux qu’une acception restreinte arrange. Comme Baudoin Prot, directeur de BNP-Paribas, qui, au printemps dernier, expliquait sans ciller devant une commission d’enquête du Sénat que sa banque, qui possède pourtant de nombreuses filiales aux îles Caïmans et à Jersey, n’a de lien avec aucun paradis fiscal. Pas faux si l’on se fonde, comme lui, sur le classement de l’OCDE qui, depuis 2009, présente une liste noire… vide.

Les États sont sortis de cette liste par simple déclaration d’intention, puisqu’il suffisait pour cela d’accords entre pays, parfois fantaisistes et pour l’instant invérifiables quant à leurs débouchés concrets, souligne Vincent Drezet, secrétaire général du syndicat Solidaires finances publiques (ex-Snui). Le syndicaliste se montre de toute façon plutôt circonspect devant le concept même de « black-list » puisqu’ « il n’existe pas “une” définition du paradis fiscal, mais toute une gamme de paradis fiscaux, dont les frontières sont à la fois floues et guère étanches ». Un flou savamment entretenu dans ce monde où les limites de la morale sont loin de recouvrir celles du droit, et où la concurrence fiscale agressive pratiquée par la quasi-totalité des États de la planète – notamment ceux qui, comme le Ghana ou la Jamaïque, n’ont rien d’autre à « vendre » – est illégitime mais complètement légale. Un monde où l’on se joue avec malice des différences subtiles entre la « fraude », interdite, et l’« optimisation » fiscale, autorisée. D’où la définition très large donnée par Nicholas Shaxson, journaliste financier au pourtant peu gauchiste Financial Times. Il juge que peut être désigné comme paradis fiscal tout lieu permettant de « fournir à quelques privilégiés le moyen d’échapper aux obligations qui incombent à tout un chacun du fait de vivre en société – des obligations telles que payer ses impôts, se soumettre aux lois économiques, pénales, successorales, etc. ».

Voilà qui élargit considérablement la palette des nations concernées ! Par exemple, toutes celles abritant des mécanismes juridiques comme les trusts, ces structures du droit anglo-saxon permettant de masquer le détenteur des fonds, qui «  existent par millions dans le monde », souligne Jean Merckaert. Et quand bien même le secret bancaire aurait été éradiqué sur la planète, Éric Alt évoque les mille et une façons polies pour un État de ne pas transmettre des informations tout en faisant mine de coopérer : allonger les délais, entretenir le flou, répondre à côté de la plaque… Quand il s’agit de fiscalité, on ne manque décidément jamais d’imagination.

[^3]: Coauteur, avec Irène Luc, de l’Esprit de corruption, éd. Le Bord de l’eau, 168 p., 16 euros.

Temps de lecture : 3 minutes
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