Jean Jouzel : « Un accord ambitieux est impératif »

Présent à Doha (Qatar) pour la conférence des Nations unies sur le climat, le climatologue Jean Jouzel en analyse les enjeux, et livre ses craintes et ses espoirs.

Claude-Marie Vadrot  • 29 novembre 2012 abonné·es

Jean Jouzel, climatologue, doit rencontrer François Hollande à la conférence de Doha, le 1er décembre, pour lui faire part des préoccupations des scientifiques.

Quels seront votre rôle et celui des représentants du Giec à la conférence de Doha sur le climat ?

Jean Jouzel : Le Giec ne participe pas en tant que tel aux négociations. Notre mission se limite à établir un diagnostic sur l’ensemble des aspects liés au rôle des activités humaines sur le climat, et non à formuler des recommandations. Pour ma part, j’y participe au titre d’expert scientifique, en tant que membre de la délégation ministérielle de Delphine Batho.

Pensez-vous livrer de nouvelles informations sur l’évolution du climat pendant la conférence ?

La synthèse du Giec sera disponible en septembre prochain. Les projections réalisées par les deux groupes français de modélisation impliqués dans cette synthèse, Météo France et l’Institut Pierre-Simon-Laplace, ont été présentées en début d’année. Elles s’inscrivent dans la continuité de celles réalisées pour le précédent rapport, avec des réchauffements d’autant plus importants que les scénarios seront plus émetteurs : en 2100, la hausse moyenne à l’échelle planétaire serait de 3,5 à 5 °C pour le scénario le plus sévère, de 2 °C pour le plus optimiste, qui ne peut être atteint que par l’application de politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Au-delà de 2100, le réchauffement risque de se poursuivre avec, dans le cas du scénario le plus émetteur, des réchauffements moyens qui, en 2300, pourraient atteindre 6 à 7 °C supplémentaires, et donc dépasser 10 °C par rapport à aujourd’hui. Les caractéristiques régionales sont également confirmées, avec des réchauffements généralement plus importants sur les continents – Europe, États-Unis, Afrique – que sur l’océan, et des modifications notables du cycle hydrologique, avec des sécheresses plus fréquentes dans certaines régions – pourtour méditerranéen, une partie des États-Unis.

La position de la France et celle de l’Union européenne vous paraissent-elles aller dans le bon sens ?

Avec le paquet énergie-climat, une position volontariste a été mise en place au niveau européen à travers les « 3 x 20 » [réduction de 20 % des émissions, augmentation de 20 % des renouvelables, et 20 % d’économies d’énergie, NDLR]. Je regrette néanmoins que l’Europe ne se soit pas engagée plus avant en affichant un objectif de – 30 % pour ses émissions de gaz à effet de serre. La France a réaffirmé une position ambitieuse lors de la conférence environnementale qui s’est tenue en septembre : rappelons que l’objectif « facteur 4 » [division par 4 des émissions d’ici à 2050, NDLR] est inscrit dans la loi.

Parmi les modélisations de hausse de  température proposées par le Giec, laquelle vous paraît la plus plausible ?

À l’échelle mondiale, les émissions de dioxyde de carbone, principal contributeur à l’augmentation de l’effet de serre, n’ont jamais crû aussi rapidement qu’au cours de la dernière décennie. Nous nous éloignons à grand pas de l’objectif de 2° C. J’espère toujours que des politiques ambitieuses seront initiées à Doha. Sinon, des réchauffements moyens de 4 °C, voire 6 °C, à l’horizon 2100, mis récemment en avant par l’Agence internationale de l’énergie et la Banque mondiale, ne peuvent être exclus.

Que pensez-vous des « bricolages » en projet, notamment par l’intermédiaire du Centre de technologie climatique, auxquels semblent se résigner de nombreux pays ?

La géo-ingénierie consiste à concevoir et à réaliser une intervention délibérée et à grande échelle sur le climat, comme la dispersion de particules dans la haute atmosphère en vue d’en accroître le pouvoir réfléchissant. Je suis très sceptique sur le déploiement de telles méthodes aux conséquences qui, en tout état de cause, ne seront pas maîtrisées. Selon moi, il faut traiter le problème à la source et diminuer nos émissions de gaz à effet de serre. Mais nous devons aussi rester attentifs à ces méthodes, sur lesquelles des recherches sont conduites dans différents pays, et être en mesure d’en évaluer les conséquences.

Quels résultats espérez-vous du sommet de Doha ?

Il faut maintenant entraîner les pays émergents et les pays en développement dans la lutte contre le réchauffement climatique. C’est en cela que Doha est important, puisque c’est le point de départ d’un nouveau cycle de négociations qui, en 2015, devrait aboutir à un accord qui entrerait en vigueur en 2020 et devrait alors impliquer tous les pays. Un accord ambitieux est impératif si nous voulons qu’à terme le réchauffement se stabilise à un niveau le plus proche possible de 2 °C.

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