« Les Invisibles », bonheur visible

En s’appuyant sur les souvenirs de ses protagonistes, Sébastien Lifshitz livre un film tendre.

Christophe Kantcheff  • 29 novembre 2012
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Le hasard fait bien les choses. Alors que des manifestations plus ou moins homophobes (l’hypocrisie, en l’espèce, est toujours possible…) ont lieu pour s’opposer au projet de loi instituant le mariage pour tous et la possibilité pour des couples homosexuels d’adopter, sort sur les écrans les Invisibles, de Sébastien Lifshitz. D’un côté, l’imprécation de la famille éternelle et d’un improbable « ordre symbolique », de l’autre, un documentaire avec quelques homosexuels devenus vieux qui se retournent sur leur vie. Autrement dit : les tristes névroses normatives perdurent (héritées, soit dit en passant, de parents hétérosexuels), celles, précisément, que les personnages des Invisibles ont dû affronter, au prix de souffrances morales, pour devenir eux-mêmes.

Mais Yann et Pierre, Catherine et Élisabeth, Monique ou Pierrot ne sont pas dans la déploration. Et le cinéaste n’a pas réalisé un film dénonciateur ou pleurnichard. Il a filmé ses interlocuteurs chez eux, à la ville ou à la campagne, et leur a demandé de se remémorer. Par la parole, sont ressuscités des souvenirs heureux de rencontres et d’amours partagés. Abondent aussi les témoignages de rejet, de l’incapacité de parents à envisager une alternative au destin « naturel », le mariage, les enfants, surtout pour les filles. Par l’image, il y a les gestes attentionnés des vieux couples aimants (Bernard et Jacques), les regards éloquents (Yann et Pierre), ou les marques encore présentes d’un long chemin de solitude (Christian, filmé à la piscine).

Sébastien Lifshitz s’appuie en outre sur des photos de famille pour montrer ses interlocuteurs au temps de leur jeunesse – c’est-à-dire de leur invisibilité imposée. Et sur des extraits de films (notamment ceux de la cinéaste et féministe Carole Roussopoulos) pour raconter les années de libération, après Mai 68. Mouvements collectifs et festifs qui ont eu leur traduction au plan individuel : c’est net chez Christian, qui a pu commencer à exister, ou chez Thérèse, devenue militante, abritant des séances d’avortement, ouvrant ses portes aux amours lesbiens et au plaisir, après quarante ans de vie contrainte. Les Invisibles est un film tendre sur des femmes et des hommes, parvenus au seuil de leur vie, gorgés d’une humanité qu’ils donnent en partage. Ces belles personnes ont transformé des blessures en liberté active, des combats en philosophie de la vie. Avec elles, la vieillesse est un bonheur.

**Les Invisibles** , Sébastien Lifshitz, 1 h 55.
Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes
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