« Recréer des liens de solidarité »

Emmanuel Antoine analyse l’essor des alternatives au low cost. Selon lui, leur développement nécessite une volonté politique.

Lena Bjurström  • 15 novembre 2012 abonné·es

Le low cost n’est pas une fatalité. Amap sociales, systèmes d’échange de services, recycleries, conserveries, fripes, zones de gratuité et vide-greniers (1), ces initiatives collectives ne sont pas nouvelles. Leur développement ces dernières années semble refléter tant une volonté de réduction des dépenses en temps de crise qu’une interrogation sur la consommation. Pour Emmanuel Antoine, elles ne peuvent prendre de l’ampleur que si elles sont pensées politiquement et qu’elles alimentent un projet de société.

Aujourd’hui, pour un foyer à faible revenu, y a-t-il une alternative à l’achat de produits low cost ?

Emmanuel Antoine : Le low cost n’est pas nouveau, il est caractéristique d’une grande distribution qui exploite à des fins commerciales les besoins de foyers en situation de précarité. En ce qui concerne l’alimentation, une première nécessité, il y a des alternatives à l’achat de ces produits, certes peu coûteux, mais souvent de mauvaise qualité. Cela passe par des circuits courts, comme les Amap, qui ont développé des offres « sociales », mais aussi par des initiatives collectives comme l’achat groupé. Plusieurs familles se mettent d’accord avec un producteur et achètent ensemble. De plus en plus d’associations de quartier développent ces pratiques afin de répondre à des exigences de coût et de qualité. Achetant en gros, elles obtiennent un prix accessible et, en traitant directement avec le producteur, les familles savent ce qu’elles consomment.

Ces initiatives semblent se multiplier, y a-t-il une tendance des foyers à « mieux consommer » ?

Parler de « mieux consommer », c’est déplacer le problème. Parfois, la question est de ne pas consommer. Aujourd’hui, ce concept de « mieux consommer » est repris par la grande distribution, qui en fait une niche commerciale. Le consumérisme est en crise, « mettre du sens à l’achat » est donc pour elle une manière de le relancer. L’enjeu est de sortir de ce consumérisme permanent dit « social ». Il s’agit non pas de « mieux consommer » mais d’interroger ses besoins, et de recréer des liens de solidarité localement plutôt que des relations marchandes. Ces dernières années ont vu le développement d’initiatives comme les recycleries et les ressourceries. Ces centres collectent les objets pour les réparer et ensuite les revendre à bas prix. Les fripes sont également un bon exemple de cette deuxième vie des objets. Il ne s’agit donc pas tant de « mieux consommer » que de « moins consommer », consommer selon ses besoins réels.

Le développement de ces alternatives est-il en lien avec le contexte de crise ?

Ces initiatives ne sont pas nouvelles, mais il est vrai que, depuis 2008, elles se développent, témoignant d’une suspicion des consommateurs vis-à-vis des promesses commerciales et d’une réflexion sur leur consommation. Poussés à réduire leurs dépenses, il est possible que les foyers en viennent à s’interroger sur leurs besoins véritables. Il y a donc un développement des mutualisations de l’outillage, de l’achat en gros, des créations de conserveries, de friperies, de vide-greniers, d’ateliers de réparation des objets. Internet participe également à cet élan. Le succès de sites comme Le Bon Coin témoigne de cette tendance. Mais Internet et les réseaux sociaux facilitent également des initiatives comme le covoiturage ou les systèmes d’échange locaux, qui centralisent les offres d’échange d’un bien, d’un savoir, d’un service contre un autre, de la plomberie à la coiffure en passant par les cours de langue.

Vous parlez de développement des alternatives au consumérisme, mais tout le monde ne connaît pas leur existence. Comment les faire connaître, voire les généraliser ?

Il est certain que ces initiatives n’ont pas les mêmes moyens de communication que de grandes entreprises commerciales. Mais, surtout, leur généralisation dépend d’une volonté politique capable de se confronter à l’agro-industrie et à la grande distribution. Cela passe, par exemple, par le renouvellement d’une classe politique qui ne sait pas penser l’amélioration des conditions de vie indépendamment d’une croissance économique. Une volonté politique locale est nécessaire pour lier l’aide alimentaire d’urgence au développement des circuits courts, en créant des liens de solidarité avec les producteurs, ou des conserveries, des recycleries, comme le font certaines collectivités territoriales. Au-delà, il s’agit, au niveau national, d’adopter des lois qui favorisent la diversité des points de vente, encouragent le commerce de détail indépendant de proximité et cassent le monopole de la grande distribution. Ces alternatives portent un système différent, leur promotion passe donc par des choix politiques.

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