Les premières manœuvres

En attendant l’exploitation, les opérateurs investissent dans le transport et le stockage, comme en Espagne et dans les Landes.

Jean Sébastien Mora  • 6 décembre 2012 abonné·es

Le plafond dans la production mondiale de gaz naturel est attendu pour 2030. Pourtant, dans le sud-ouest de l’Europe, les grands opérateurs investissent encore des centaines de millions d’euros dans une superposition de projets, laissant deviner des enjeux dépassant largement la région, voire une préparation possible au transport et au stockage de gaz de schiste. Cela au moment où François Hollande relance le débat, et alors qu’un moratoire a été rejeté le 21 novembre par le Parlement européen. Parmi ces opérateurs, Transport infrastructures gaz France (TIGF, filiale du pétrolier Total) gère déjà le stockage de 25 % du gaz français et mène actuellement d’importants travaux pour augmenter sa capacité de transport de gaz naturel. Lancée en 2011, la construction d’un pipeline à double flux, « Euskadour », pour un montant de 130 millions d’euros, viendra porter la capacité totale d’interconnexion gazière entre la France et l’Espagne à 7,5 milliards de   mètres cubes par an en 2015 (l’équivalent de 15 % de la consommation française). « Euskadour permettra aux transporteurs espagnols, Enagás et Naturgas Energía, de disposer d’un meilleur accès au marché du gaz européen   », expliquait TIGF en janvier 2011. La connexion Euskadour fait surtout craindre l’arrivée dans l’Hexagone du gaz de schiste espagnol, en absence de moratoire de Madrid, et au vu de la multiplication de projets d’exploitation dans le nord de la péninsule. Pour l’instant, la menace la plus sérieuse concerne la province basque d’Alava, où la compagnie texane Heyco a évalué les réserves de gaz de schiste disponibles à 184,5   milliards de   m3, soit 5   fois la consommation annuelle de l’Espagne. Bahia de Bizkia, le port gazier de Bilbao, accroît actuellement ses capacités de stockage de 400   000   m3 (plus d’un tiers de sa capacité). Or, les perceptives d’extraction se sont accélérées avec la victoire en octobre du PNV (Parti nationaliste basque), une formation indépendantiste de centre droit à l’initiative des prospections dès 2005.

Enfermement idéologique dans un modèle toujours plus consommateur d’énergies fossiles ou préparation à l’arrivée du gaz de schiste ? Une chose est certaine : sans gouvernance écologique mondiale, un scénario à faibles contraintes d’émissions de carbone prépare une compétition féroce pour le contrôle des ressources en hydrocarbures. À la suite de la séparation entre EDF et GDF en vue de leur privatisation, EDF s’est retrouvée sans gaz et n’a depuis eu de cesse de réinvestir ce domaine. Elle souhaite lancer à Pouillon, près de Dax, dans les Landes, le creusement d’une cavité de 600 millions de m3 contenue dans un diapir [^2] de sel situé entre 700 et 2 000 mètres de profondeur. Pour réaliser l’excavation du stockage, un prélèvement de ressources en eau douce est exclu. EDF prévoit alors, pendant dix ans, d’injecter de l’eau de mer dans le sous-sol afin d’extraire le sel sous la forme d’une épaisse saumure. Les quantités sont telles (environ 2/3 de la consommation annuelle française) qu’EDF ne pourra pas les valoriser et compte envoyer les eaux de lessivage au travers d’un « saumoduc » qui se déversera en pleine mer à plus de 1,5 km de la côte. Le secteur du tourisme, l’industrie de la glisse, les pêcheurs, quelques politiques et les associations de protection de l’environnement sont rapidement montés au créneau, menant durant la saison estivale une série d’actions pour dénoncer les conséquences désastreuses d’une installation gazière classée Seveso II.

Par deux fois, le Bureau des ressources géologiques et minières (BRGM) a émis des doutes sur l’intégrité de la masse de sel nécessaire à l’architecture de ce stockage. Difficile également de nier l’impact d’une concentration élevée de sel sur l’environnement marin, d’autant que « la saumure pourrait bien s’accompagner de 20 % d’hydrocarbures et d’argiles, selon les estimations   », affirment les associations. Plusieurs mois après la fin du débat public, et malgré les oppositions, EDF, maître d’ouvrage de l’opération, reste bien décidée à poursuivre en s’associant avec le géant russe Gazprom. Les associations estiment manquer de moyens de pression, en dépit d’une pétition signée par plus de 11   500 personnes sur un bassin de population de 100   000 âmes. Tout réside in fine entre les mains des politiques : en septembre 2012, le président du conseil général des Landes, Henri Emmanuelli, prenait enfin position, se montrant opposé au saumoduc, sans fermer la porte au projet d’EDF au nom des 250 emplois durant les six   ans du chantier et des 30   permanents par la suite.  « Il n’y a pas lieu de s’emballer […], la concertation sera menée avec tout le monde », a-t-il expliqué. Or, début novembre, un autre élu landais socialiste, le délégué aux Relations avec le Parlement, Alain Vidalies, déclarait que « l’extraction des gaz de schiste devra être envisagée ». Incertain, l’avenir de Pouillon est-il lié à cette déclaration ?

[^2]: Un diapir est constitué de roches facilement déformables, telles que le sel, ou encore le gypse, les magmas, les boues, etc.

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