Édourard Martin : « La nationalisation de Florange ? Chiche ! »

Le syndicaliste Édouard Matin rappelle à François Hollande ses engagements de campagne et souligne les raisons de la défiance des salariés envers les accords conclus par le gouvernement avec ArcelorMittal.

Thierry Brun  • 10 janvier 2013 abonné·es

Une lettre ouverte adressée par Édouard Martin à François Hollande le 27 décembre [^2] et une pétition intitulée « L’acier lorrain vivra », signée par près de 30 000 personnes ^3, demandent que le site de Florange soit repris ou nationalisé rapidement. Le site est actuellement occupé par les métallos afin d’empêcher l’arrêt des hauts fourneaux, prévu pour mars, ce qui signifierait la fin de la production d’acier en Lorraine. Le syndicaliste détaille ici la situation de la production et la stratégie de Mittal.

Où en est la mobilisation des salariés de Florange contre l’accord signé fin novembre avec ArcelorMittal ?

Édouard Martin : Notre revendication première reste d’actualité. Il s’agit de sauver l’ensemble du site de Florange, y compris les hauts fourneaux. Nous interpellons François Hollande parce que le 24 février, lorsqu’il était candidat à la présidentielle, il s’était engagé à déposer une proposition de loi obligeant à céder des unités de production à des repreneurs, ce qui aurait permis de sauver les hauts fourneaux. Or, l’accord de Matignon les condamne clairement. Pour nous, c’est inacceptable !

Quels arguments présentez-vous à François Hollande pour le sauvetage de Florange ?

Un plan de reprise crédible existe bel et bien. Il est sur le bureau d’Arnaud Montebourg [ministre du Redressement productif]. Un repreneur est toujours intéressé par le rachat de l’ensemble du site. Il n’y a plus qu’à reprendre le dossier et à faire en sorte de sortir Florange des griffes de Mittal.

Pour quelle raison ?

Nous sommes convaincus – c’est le sens de notre courrier à François Hollande – que Mittal ne tiendra pas ses engagements. Il a enfumé tout le monde ! Florange sera privé de ses hauts fourneaux, ce qui fragilisera dangereusement le site. D’ici à quelques années, je crains fortement que l’ensemble de l’activité ne soit carrément rayé de la carte industrielle française. Si l’on veut encore une industrie en France, si l’on veut que le ministère du Redressement productif puisse maintenir une activité industrielle sur ce territoire, il ne faut surtout pas laisser Mittal aux commandes de Florange.

ArcelorMittal met en avant la fragilité de Florange, due au transport de matières premières. Le site ne serait pas compétitif, qu’en pensez-vous ?

Je mets au défi quiconque, au sein du gouvernement comme du groupe ArcelorMittal, de venir débattre avec nous, chiffres en main. Le rapport Faure le dit [^4] : Florange est rentable. C’est le seul site intégré en Europe, c’est-à-dire avec l’ensemble des outils de production et de transformation de l’acier. Nous avons réussi à obtenir les chiffres officiels de la direction. Ces documents montrent clairement que, malgré le handicap du transport des matières premières, la performance technique de Florange compense largement les coûts de ce transport. Nous sommes au même niveau que le site de Dunkerque et largement meilleurs que les autres sites du nord de l’Europe. En ce qui concerne Ulcos [processus sidérurgique à très basses émissions de CO2, NDLR], le projet est prêt depuis juin 2011. Sauf que Mittal a sorti un problème technique de son chapeau parce qu’il ne veut pas investir à Flowrange. Pour ceux qui connaissent un peu la sidérurgie, personne ne peut croire que, dans six ans, on va remettre des hauts fourneaux en état.

Matignon a pourtant retenu les arguments d’ArcelorMittal…

Mais quel est le projet de Mittal ? Il veut faire en sorte que le charbon vienne de Rotterdam jusqu’à Florange, qu’on le transforme en coke, puis que le coke reparte à Dunkerque pour fabriquer de l’acier, lequel reviendrait à Florange pour qu’on en fasse les bobines qui partiraient sur le site de Basse-Indre. Où est la logique industrielle ?

Pourquoi ArcelorMittal tient-il tant à fermer Florange ?

En 2008, à Gandrange, les patrons étaient allemands. Où sont partis les investissements et la production après la fermeture du site ? En Allemagne. Aujourd’hui, qui sont les patrons des aciers plats en Europe ? Les Flamands. Regardez Gand, c’est le site le plus chargé de l’Europe du Nord. Ce n’est donc pas un hasard que Florange soit menacé de fermeture. Mittal ne s’attaque pas aux sites allemands parce qu’ils sont en cogestion. Au conseil de surveillance, il y a une parité entre les représentants des salariés et de la direction générale. Les administrateurs ne se sont jamais opposés à la position syndicale. Sous Angela Merkel – qui n’est pas de gauche –, la sidérurgie allemande est dans une large majorité à capitaux publics ! Quand bien même Mittal réussirait à imposer la fermeture de plusieurs sites, les régions allemandes, qui ont le pouvoir, n’auraient aucun état d’âme à les nationaliser, de manière à ce que Mittal perde la main sur leur gestion industrielle et financière, comme cela s’est déjà produit du temps d’Usinor. Alors, ce qui est bon en Allemagne serait mauvais en France ? Le mot « nationalisation » serait-il devenu une insulte chez nous ?

Que demandez-vous au Président ?

De reprendre le dossier en main. On veut tout mettre à plat parce que le Président n’a peut-être pas toutes les données du problème. Avec notre lettre ouverte, nous voulons qu’il ne puisse pas dire, quelle que soit la décision qu’il prendra, qu’il ne savait pas. Il n’aura pas d’excuses. Nous montrons que, d’ores et déjà, Mittal ne respecte pas ses engagements, en particulier celui autour du projet Ulcos, auquel tient tant Jean-Marc Ayrault. Comme le Premier ministre a dit qu’au moindre engagement non respecté de Mittal la nationalisation provisoire et transitoire revient sur la table, nous lui disons : chiche ! Il faut rappeler que Mittal a un projet machiavélique : d’ici à fin mars, il veut arrêter la chauffe des hauts fourneaux parce qu’il sait qu’il ne respectera pas ses engagements. Le temps joue en sa faveur car, si on arrête la chauffe des hauts fourneaux, cela signifie qu’ils sont morts ! La menace de reprise du site brandie par le gouvernement ne tiendra plus, parce que personne ne sera intéressé par le rachat de hauts fourneaux inutilisables. Pour nous, il est hors de question que qui que ce soit touche à ces hauts fourneaux et coupe l’alimentation en gaz !

[^2]: Voir Politis.fr

[^3]: http://sauvonsflorange.wesign.it/fr 

[^4]: « La filière acier an France et l’avenir du site de Florange », rapport de Pascal Faure commandé par le ministre du Redressement productif et remis en juillet 2012. Le rapport préconise un investissement de 400 à 500 millions d’euros sur cinq ans, qui s’avérerait rentable à terme.

Temps de lecture : 6 minutes