Rattrapage pour les 2-3 ans

La loi sur la refondation de l’école prévoit d’ouvrir trois mille postes sur cinq ans dans les zones défavorisées. Objectif : réparer les dégâts de l’ère Sarkozy sur la scolarisation des tout-petits.

Ingrid Merckx  • 31 janvier 2013 abonné·es

Trois mille enseignants sur cinq ans dans les écoles « situées dans un environnement social défavorisé, que ce soit dans les zones urbaines, rurales ou de montagne, ainsi que dans les départements et régions d’outre-mer ». C’est ce que prévoit le projet de loi sur la refondation de l’école pour la rescolarisation des tout-petits. Pas moins de 30 % des enfants âgés de 2 à 3 ans étaient scolarisés en 2000, contre 13 % aujourd’hui. Les enseignants de toute petite section ayant été parmi les premiers à faire les frais des réductions de poste depuis 2007. Comme il s’agit de rétablir ce qui a été supprimé, cette mesure défendue par le ministre de l’Éducation, Vincent Peillon, est plutôt bien accueillie. D’autant que le texte a évolué, selon le SNUipp, syndicat du premier degré. « La formation dispensée dans les classes et les écoles maternelles favorise l’éveil de la personnalité des enfants, conforte et stimule leur développement affectif, sensoriel, moteur, cognitif et social. Elle les initie et les exerce à l’usage des différents moyens d’expression », précise la loi qui recommande de « développer la confiance en soi et l’envie d’apprendre ». En outre, « les principes de l’égalité entre les filles et les garçons », le rôle de prévention et de lutte contre les inégalités de l’école, sont inscrits. Mais, au-delà du sentiment de réparation, la scolarisation précoce est-elle plébiscitée ?

La maternelle en France fait figure d’exception : les petits Américains ou Allemands n’entrent pas à l’école avant d’avoir atteint l’âge de 5 ou 6 ans. Un débat déjà ancien existe sur le mode : des enfants si petits sont-ils prêts à intégrer l’école ? Sachant que la question se pose aussi à propos des modes d’accueil collectifs… Faut-il fermer les écoles maternelles ?, s’interrogeait dans un ouvrage paru en 2008 un inspecteur de l’Éducation nationale, sous le pseudonyme de Julien Dazay   (Michalon). Apparentant la maternelle à une garderie, il estimait qu’elle coûte beaucoup (locaux, agents territoriaux, enseignants) pour pas grand-chose : habiller et déshabiller, sieste, récré, gribouillage, etc. La meilleure réussite des enfants scolarisés à 2   ans par rapport à ceux qui le sont à 3   ans s’érode à partir de la sixième indiquait aussi un « Portrait social » publié par l’Insee en 2005. Et la scolarisation précoce négligerait les besoins fondamentaux   (sommeil, protection, attention, affection…), jugent Claire Brisset, ancienne Défenseure des enfants, et Bernard Golse, professeur de pédopsychiatrie, ainsi que nombre de spécialistes [^2]. « Faux ! », proteste l’Association générale des enseignants des écoles et classes maternelles (Ageem), dont le Guide à l’usage des parents précise comment l’école s’y prend pour répondre aux besoins du jeune enfant.

Dans les zones sensibles et prioritaires (ZEP et ZUS), le débat semble tranché : la scolarisation précoce fait partie des déterminants de la réussite scolaire, concluait déjà le rapport Moisan-Simon en 1997. Elle peut « remplir un rôle de prévention, de dépistage des difficultés et des inadaptations scolaires », ajoute un groupe de recherche du Centre régional de documentation pédagogique de Montpellier. C’est un vecteur important dans le développement du langage et du rapport à l’écrit. Surtout, elle répond à une demande socio-économique : comme l’école est gratuite, la scolarisation dès 2 ans peut avoir un impact sur l’emploi des bas salaires, en particulier des femmes. Effectifs réduits (à quinze), locaux et pédagogie adaptés : la scolarisation des 2 ans est indissociable des moyens. Passer de 0,7 % des moins de 3 ans scolarisés en Seine Saint-Denis à 30 % implique « un appui conséquent aux villes pour la construction d’écoles […], une exigence de scolarisation effective quand beaucoup ne sont scolarisés qu’à mi-temps […], des objectifs en termes d’encadrement », rappelle Matthieu Glaymann, du Collectif des parents d’élèves citoyens de Seine-Saint-Denis. On retrouve le problème crucial de la formation des enseignants, où, là aussi, Vincent Peillon entame une phase de rattrapage. La toute petite section n’est certes pas un substitut aux modes de garde, mais l’école dès 2 ans reste une réponse à l’absence de politique ambitieuse en matière de petite enfance.

[^2]: L’école à 2 ans, est-ce bon pour l’enfant ? , éd. Odile Jacob, 2006.

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