« Rendez-vous à Kiruna », d’Anna Novion : Une ouverture suédoise

Anna Novion signe un road-movie grave et léger autour de la figure du père.

Christophe Kantcheff  • 31 janvier 2013 abonné·es

La plupart des financeurs du cinéma nourrissent un fantasme autour du scénario dit « bien ficelé ». Difficile de savoir à quoi celui-ci correspond, sinon que l’expression suggère une histoire tenue serrée, sans aucune respiration. Ce n’est pas le cas de Rendez-vous à Kiruna, le deuxième film d’Anna Novion, qui fait pourtant preuve d’une grande intelligence dans l’agencement de son intrigue. Sans être millimétrée, ni truffée de surprises ou de rebondissements, la narration est traversée par des lignes de tension qui électrisent chaque séquence. Autrement dit, qui en maintiennent et renouvellent les enjeux.

Rendez-vous à Kiruna met avant tout en scène trois personnages masculins. Il y a Ernest (Jean-Pierre Darroussin), un architecte renommé et peu sympathique, qui reçoit un jour un coup de téléphone lui annonçant que son fils, né il y a plus de vingt ans mais qu’il n’a jamais vu, est mort. Il doit partir dans le nord de la Suède, où celui-ci vivait, pour le reconnaître. Ensuite, il y a Magnus (Anastasios Soulis), un jeune Suédois qu’Ernest prend en stop. En rupture amoureuse, le vague à l’âme, il a pour destination la demeure de son grand-père, qui habite seul dans la Suède septentrionale. Enfin, à un degré moindre, il y a Stig (Claes Ljungmark), policier à la retraite, qui a élevé le jeune homme décédé, et voit d’un mauvais œil qu’un inconnu vienne reconnaître son corps. Rendez-vous à Kiruna s’inscrit dans la tradition du road-movie.

Du point de vue géographique bien sûr – la Suède, sous le regard d’Anna Novion, qu’elle a déjà filmée dans son premier film, les Grandes Personnes, prenant une beauté à la fois rustique et contemporaine. Mais aussi d’un point de vue plus métaphorique, chaque personnage ayant son propre trajet psychologique, évoluant au contact de l’autre : la douce mélancolie de l’un (Magnus) se diffuse sous forme de sentiment d’humanité, tandis que les défenses des autres (Ernest, Stig) s’évanouissent. C’est d’autant plus fort chez Ernest que celui-ci voit sous ses yeux le spleen de Magnus, qui pourrait être son fils, et que lui-même ressent le vertige d’être passé à côté d’une vie de père. Sans pathos, comique par instants, délicat dans sa gravité, Rendez-vous à Kiruna est porté par une mise en scène qui n’a rien de « ficelé », elle non plus, mais au contraire sert le film pour qu’il prenne son envol. Une réussite.

Cinéma
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