De l’antiracisme à l’altermondialisme

L’émergence des mouvements indiens en Amérique latine s’est construite sur des revendications démocratiques.

Patrick Piro  • 28 février 2013 abonné·es

On ne voyait qu’eux lors du forum alternatif au sommet Rio+20 de juin dernier : près de 1 500 Indiens revêtus de leurs plus beaux atours. Pose pour une photo souvenir, vente d’artisanat et surtout lobby politique auprès des ministres au sommet officiel : les communautés indigènes brésiliennes ont appris à jouer sur plusieurs registres afin de pousser leurs revendications civiques, identitaires, éthiques, culturelles, économiques auprès de la population et des pouvoirs publics. « Jamais nous n’avons eu le sentiment d’être aussi forts », commentait Megaron Txucarramãe, successeur du célèbre cacique Raoni à la tête de l’ethnie Kayapó.

Bien qu’ils ne représentent que 0,5 % de la population, l’émergence récente des indigènes en collectifs organisés est l’une des actualités majeures des mouvements sociaux au Brésil. C’est aussi le cas sur tout le continent latino, où l’on recense près de 45 millions d’Indiens, et surtout dans les pays andins, où ils sont en force dans la population – 25 % en Équateur, 45 % au Pérou et une bonne moitié en Bolivie (ainsi qu’au Guatemala). Partout spoliés de leurs terres, dénigrés dans leur identité et leur culture, marginalisés par les colons européens depuis cinq siècles, ils ont relevé la tête. Dans les années 1980, ils expriment des revendications positives qui font toute l’originalité des mouvements indiens modernes. Prenant leur distance avec les nostalgiques d’un monde indigène utopique, combattant le métissage culturel et l’assimilation, ces groupes expriment des aspirations dépassant le cadre ethnique.

Au-delà de la reconnaissance de la culture et d’abord de leurs droits ancestraux à la terre, la plupart des mouvements indiens latinos revendiquent un projet démocratique et national : les aspirations pan-indiennes (andines) ne dépassent guère l’affichage de la solidarité entre « frères indiens » et la création d’articulations continentales, voire internationales, notamment à la fin des années 1980. En contrepoint aux célébrations à relent néocolonialiste des « 500 ans de la découverte de l’Amérique ». C’est l’époque d’une première vague de succès. Une demi-douzaine de pays reconnaissent à ce jour le caractère multiculturel de la nation. La Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (1989) défend leurs droits, la Guatémaltèque Rigoberta Menchú, dirigeante maya-quiché, obtient le prix Nobel de la paix (1992).

C’est en Équateur que l’histoire politique des Indiens est la plus riche, où la puissante Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur (Conaie) est au cœur des alliances électorales gagnantes depuis près de quinze ans. Mais la désillusion l’a vite emporté : les élites se braquent, le virage à gauche du pays n’a apporté que des demi-satisfactions sociales et culturelles aux mouvements indigènes, aujourd’hui divisés. Et c’est le cas même en Bolivie, où l’élection, en 2006, d’Evo Moralès, un Aymara, a été saluée comme une consécration. Du Brésil de Lula et de Rousseff au Chili de Bachelet, du Pérou ou du Venezuela des métis Humala et Chávez à l’Équateur de Correa, la revendication des Indiens s’identifie désormais partout à la lutte contre des politiques de développement destructrices de l’environnement (exploitation du sous-sol, barrages, etc.) qui menacent les fondements de leur existence. Une bataille qui a rejoint le rejet altermondialiste du vieux modèle économique prédateur.

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