« La Poussière du temps », de Theo Angelopoulos : La même histoire

La Poussière du temps, de Theo Angelopoulos, raconte un amour qui traverse pays et époques.

Christophe Kantcheff  • 14 février 2013 abonné·es

Il y a un peu plus d’un an disparaissait Theo Angelopoulos. Les circonstances de son décès ne sont pas anodines : alors qu’une moto avait percuté le cinéaste, il a fallu attendre longtemps avant qu’une ambulance en état de marche n’arrive sur les lieux. Ainsi, l’un des cinéastes les plus en prise avec l’histoire de la Grèce est mort en partie à cause de la situation dramatique que connaît son pays.

Cette triste histoire résonne particulièrement avec le mouvement du récit de son dernier film achevé (en 2008, distribué en France seulement maintenant), la Poussière du temps, qui oscille entre les années 1950 et aujourd’hui. Un cinéaste, dénommé simplement A (Willem Dafoe), réalise un film sur ses parents, Spyros (Michel Piccoli) et Eleni (Irène Jacob). Grecs communistes réfugiés en URSS dans les années 1950, ils ont été violemment séparés par le régime stalinien, jetés l’une dans un camp l’autre en prison. Spyros ne s’est dès lors plus détourné d’un seul but : retrouver la femme de sa vie, qui elle-même a toujours gardé son amour pour lui. Elle a traversé les épreuves de la séparation sous la protection de Jacob (Bruno Ganz), épris d’elle. Spyros et Eleni se sont finalement retrouvés et ont émigré aux États-Unis. La Poussière du temps montre la seconde moitié du XXe siècle comme une succession de déplacements de population et d’exils. Le film traverse l’Allemagne, la Russie, le Canada, les États-Unis, de la même manière qu’il bascule insensiblement d’une époque à l’autre, comme souvent chez Angelopoulos. Non seulement parce que les personnages, qu’ils soient jeunes ou devenus vieux, sont animés par les mêmes amours et les mêmes idéaux. Mais aussi parce qu’ils se confrontent à la violence de toutes les époques. Celle de nos démocraties est différente des arbitraires meurtriers caractéristiques des régimes totalitaires que l’Europe a connus. Mais elle n’est pas « soft » pour autant, comme le cinéaste le montre en quelques séquences.

La scène du squat où la fille de A est au bord de se suicider (on y voit le même plan que dans Allemagne année zéro ) et où les CRS font irruption non pour la sauver mais pour déloger les vagabonds est explicite. Pourtant, la Poussière du temps s’achève sur la possibilité d’une échappée à travers Berlin, une envolée qui emporte Spyros et sa petite-fille, tous deux étant à leur manière des rescapés. Une fragile éclaircie dans un film inquiet et testamentaire.

Cinéma
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