Les États-Unis rêvent d’industrie

Barack Obama a présenté son programme pour relancer l’économie. Correspondance d’Alexis Buisson.

Alexis Buisson  • 21 février 2013 abonné·es

Au lendemain de son discours sur l’état de l’Union, prononcé le 12 février, Barack Obama s’est envolé pour Asheville, en Caroline du Nord. C’est dans cette contrée bucolique, où les Obama envisagent de prendre leur retraite, que se trouve Linamar, une entreprise canadienne qui fabrique notamment des pièces détachées pour le secteur automobile. Linamar incarne l’ambition du Président pour l’industrie américaine : elle est une firme prospère qui crée des emplois et contribue à la revitalisation d’un bassin industriel – l’est de la Caroline du Nord – tombé en déliquescence au cours des années 1990. « Je crois dans le secteur manufacturier, il rend notre pays plus fort », a claironné Obama devant les employés de l’usine.

Entre le sauvetage des titans industriels General Motors, Ford et Chrysler en 2009, le soutien aux PME et le lancement annoncé de quinze instituts d’innovation rassemblant chercheurs et industriels, la Maison Blanche fait feu de tout bois pour raviver l’appareil productif américain. Et ça marche. Alors que l’économie a crû de 1,7 % l’an dernier, le secteur manufacturier a augmenté de 4,7 %. Plus de 109 000 emplois ont été créés, après douze ans de déclin. Apple, Intel, Caterpillar et Ford sont en train de relocaliser une partie de leur production aux États-Unis. Idem pour Boeing et General Electric, partis en Chine. Ils citent aujourd’hui la « surextension » de leur chaîne logistique et la qualité des travailleurs américains pour justifier leur retour au bercail. «   Il y a un intérêt authentique de la part de l’Administration pour le secteur manufacturier et la perte de capacités que son déclin a entraînée, souligne Willy Shih, professeur de management à Harvard. Elle a compris le rôle du secteur industriel pour soutenir l’innovation. »

Le changement de cap est d’autant plus impressionnant que le terme « politique industrielle » est tabou aux États-Unis. Pour les partisans du laisser-faire, il est synonyme d’un dangereux interventionnisme étatique. D’ailleurs, Obama lui-même se garde bien d’user de ce terme. « S’il l’employait, ça mettrait le feu aux poudres   », poursuit Willy Shih. Il était pourtant grand temps d’agir. Comme dans d’autres pays développés, l’appareil productif américain était en déclin, concurrencé par la Chine et d’autres pays à la main-d’œuvre moins coûteuse, et victime de l’utopie d’une économie sans usines. La part du secteur manufacturier dans le PIB a chuté de 27 % à 12 % entre 1957 et 2010. Le renouveau industriel correspond à l’arrivée à la Maison Blanche de fervents défenseurs de l’industrie, qui ont bien compris l’effet multiplicateur d’emplois que peuvent avoir les activités industrielles et leur importance pour l’innovation. À leur tête : Gene Sperling. Natif du Michigan, bastion de la « Rust Belt », il dirige le très influent National Economic Council, un organe qui conseille le Président sur les questions de politique économique.

Sous sa direction, la Maison Blanche a proposé une série de mesures pour accélérer le développement de nouvelles techniques et de nouveaux procédés de production Huit millions de dollars ont été dépensés dans les universités publiques ( « community colleges » ) pour former la main-d’œuvre de demain. Et le gouvernement a fait adopter des incitations fiscales pour les entreprises qui s’implantent aux États-Unis et débloquer des investissements pour le développement de centres d’innovation, visant à lancer les technologies d’avenir comme l’imprimante 3D et les nanotechnologies. L’administration Obama a également mis le paquet sur les petites et moyennes entreprises pour favoriser l’essor de tissus industriels locaux, voire régionaux. L’agence fédérale créée en 1953 avec l’objectif de soutenir les PME, la Small Business Administration (SBA), s’est vue dotée de moyens supplémentaires. Les prêts aux petites entreprises ont augmenté de 20 % entre 2009 et octobre 2011, avec une augmentation à deux chiffres pendant quinze mois consécutifs. Conséquence du Small Business Jobs Act, qu’Obama a ratifié en septembre 2010 : le texte allège les conditions de prêts aux petites structures. Autre clé du succès : la multiplication des partenariats public-privé au niveau régional. Fin 2012, la Maison Blanche a débloqué 20 millions de dollars en faveur de dix clusters d’innovation à travers le pays, pour créer des synergies entre PME, grandes entreprises, laboratoires et universités situées dans un même périmètre.

Cette politique n’est pas allée sans critiques. La charge la plus commentée est venue en février 2012 de l’économiste Christina Romer. Études à l’appui, elle s’est demandée pourquoi les industriels bénéficieraient d’un traitement de faveur fiscal. Selon elle, les retombées des clusters sont incertaines, la stimulation de la demande de produits manufacturiers reste insuffisante, et les salaires pratiqués dans le secteur sont en baisse. Pourtant, avec l’augmentation des coûts de la main-d’œuvre en Chine, la sous-utilisation des ports américains et un dollar bas qui favorise les exportations, le tissu industriel des États-Unis a de beaux jours devant lui. Mais cette politique de réindustrialisation pourrait aussi se heurter à une critique venue d’un autre front : les écologistes. Et entrer en contradiction avec un autre impératif affiché par Obama depuis sa réélection en novembre 2012 : prendre des mesures face à l’urgence climatique. A. B.

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