Le viol, ce crime que l’on ne veut pas entendre

Deux livres relayent la parole de femmes victimes d’agressions sexuelles.

Orianne Hidalgo  • 21 mars 2013 abonné·es

« Viol » : quatre lettres qui suscitent gêne, ignorance et tabou. Aujourd’hui, deux livres cherchent à dessiller les yeux sur la barbarie de l’agression. À l’initiative de Clémentine Autain, directrice du journal Regards et militante féministe, Elles se manifestent veut briser le silence, comme l’avaient fait en 2012 « les 313 » contre le viol. Dans le même temps, paraît sous la plume de Jessie Magana, dans une collection destinée à la jeunesse, Gisèle Halimi : « Non au viol », qui revient sur le combat de l’avocate, signataire en 1971 du Manifeste des 343 « salopes » pour la légalisation de l’avortement.

Bien que le viol soit jugé aux assises et tenu pour un crime depuis 1980, certains ont encore du mal à reconnaître la gravité de cet acte. Jessie Magana choisit un dispositif narratif mêlant fiction et réalité. Le récit des viols d’Anna et d’Araceli (procès d’Aix-en-Provence en 1974) et de Marie-Claire (procès de Bobigny en 1972) s’entrecroise avec celui – imaginaire – de Sarah, une lycéenne d’aujourd’hui. Le livre organise la rencontre entre ce personnage et la célèbre avocate. Le désordre psychique de la jeune femme s’intensifie jusqu’à la révélation de l’agression qu’elle a subie. L’auteur nous fait ainsi entrer dans la peau d’une victime. Le viol devient plus qu’un acte : un enfer sans prescription. Elles se manifestent opte pour la brutalité des faits. Si une préface de l’auteur problématise le viol et sa minimisation systématique, c’est la cascade des témoignages de femmes violées qui matérialise le constat : « En France, un viol a lieu environ toutes les huit minutes. » La polyphonie de cet ouvrage éclaire le mutisme social et la défaillance législative autour du viol, qui laissent des individus s’emmurer dans le silence et le traumatisme. La froideur des chiffres interdit le doute : « Seules 9,3 % des victimes portent plainte. »

Si Clémentine Autain rappelle que « la coutume, c’est l’évocation du viol par des femmes floutées, aux voix transformées, aux noms anonymes », son livre ne leur donne pour autant ni visage ni nom. Le choix a été fait de privilégier la force des témoignages. De son côté, Jessie Magana permet une identification émotionnelle avec les victimes. En filigrane, la lutte de Gisèle Halimi pour la reconnaissance des opprimées souligne l’existence des ravages causés par les crimes sexuels. Ici, le problème du viol dépasse le combat féministe pour interroger une situation politique et sociale plus large : inégalité, conservatisme et censure morale.

Idées
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