À contre-courant / Des godillots aux polichinelles

Thomas Coutrot  • 11 avril 2013 abonné·es

Le Parlement va examiner en février la loi de « réforme bancaire » proposée par Pierre Moscovici. L’Association française des banques (AFB) s’est crue obligée de pondre un communiqué convenu déplorant une réforme coûteuse et inutile. Inutile, voilà donc un adjectif qui fait l’unanimité parmi tous les observateurs. La réforme n’interdit pas aux banques de financer la spéculation en s’appuyant sur l’argent de leurs clients. Elle ne les oblige pas à fermer leurs filiales dans les paradis fiscaux. Elle ne leur retire pas la garantie de fait que l’État apporte à leurs activités à risque. Les banquiers français se gargarisent de l’extraordinaire résistance du « modèle français de banque universelle » – entendez : banque de dépôt libre de spéculer – dans la crise mondiale, au contraire des banques anglo-saxonnes. Ils oublient qu’ils ont été sauvés de la faillite une première fois en 2008 par l’État. Puis, une deuxième fois et à jet continu, par les prêts massifs à taux réduit consentis par la Banque centrale européenne (BCE) aux banques privées, prêts sans lesquels le système bancaire européen serait aujourd’hui en ruine.

Moins obligée que l’AFB de geindre à toute initiative de régulation des banques, la presse financière ne se prive pas, quant à elle, de se féliciter de l’extrême mollesse de la réforme Moscovici, qualifiée « d’a minima » ou de « Canada Dry ». Certains grands banquiers n’ont d’ailleurs pas les prudences de l’AFB. Ainsi, pour François Pérol, PDG de BPCE, qui possède la glorieuse Natixis, « c’est une bonne réforme ». Inutile, donc, c’est avéré, mais coûteuse ? Alain Papiasse, responsable de l’activité banque d’investissement de BNP Paribas, ne semble pas de cet avis : il explique crûment que la loi va l’obliger à filialiser… 2 % de son activité. Légalement, ce genre de données devrait figurer dans le projet de loi, qui comporte, comme c’est obligatoire depuis la réforme constitutionnelle de 2009, une étude d’impact. Mais lorsqu’on examine le projet, surprise ! L’impact est confidentiel. Le Parlement n’a donc pas le droit de juger de l’impact d’une réforme qu’on lui demande de voter, car cela violerait la confidentialité des stratégies bancaires. Quel mépris pour la démocratie…

En outre, comme le remarque Olivier Berruyer, il s’agit d’une pure farce : une fois créées, ces filiales devront publier leurs comptes au greffe du tribunal de commerce, et le « secret des affaires » se volatilisera. Il n’y aura secret que pour les députés et sénateurs qui accepteront d’endosser le costume de polichinelles que Pierre Moscovici leur propose. Car il y a là de la part du gouvernement et de François Hollande un aveu de mépris non seulement pour les promesses électorales du Bourget, mais pour une représentation parlementaire ramenée aux godillots de la Ve République. En décembre, les réticences de nombreux députés socialistes ne les ont pas empêchés de se satisfaire d’amendements cosmétiques pour voter le « crédit d’impôt compétitivité » – ces 20 milliards de cadeaux aux entreprises financés par la TVA. Seule une forte pression citoyenne pourrait empêcher ce scénario de se répéter en février avec cette loi bancaire inepte et méprisante.

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